Re: Autour de l'alambic ...
Posté : 05 août 2010, 08:06
suite
tirage de la cheminée....
Enfin, confronté à mon évident désarroi teinté dèjà de repentir, me voyant atterré, mon oncle me rassure : le mal n'est que partiel ; il n'est pas définitif. Tout sera corrigé lors de l'élaboration du raffin, opération délicate pour laquelle "on" se passera de mes services. La sanction, pour dire vrai, ne me déplaît pas complètement et va me rendre ma liberté pour l'après-midi .
En attendant, je ne couperai pas à la quatrième cuisson et celle-ci sera menée avec la lenteur qui sied. Elle est agrémentée de l'arrivée du "Mohler", un ami de mon oncle. Ce paysan très couleur locale porte un surnom dont je n'ai pas réussi à déterminer la justification. A ma connaissance, le "Mohler"(le peintre), n'a jamais rien peint...
Il a été attiré par le civet de lièvre que la "Nénette" , ma tante, en cuisine depuis neuf heures du matin, est en train de mitonner.
Il faut dire que c'est lui, le Mohler, qui a fourni le lièvre, ce qui mérite bien une invitation à le déguster.
J'ai même eu droit , tout à l'heure , de la bouche même de mon oncle , au récit du massacre de l'innocent animal. Existe-t-il entre eux une occulte concurrence ? Il m'a souvent été donné d'observer que les chasseurs n'ont pas d'indulgence les uns pour les autres. Ils s'accusent volontiers des pires turpitudes. En voici une illustration. Le Mohler a été lamentable. Il a tiré ce lièvre à bout portant, ce qu'un vrai chasseur ne fait jamais ! Il s'est ensuite approché de la bête agonisante pour la gratifier d'un second coup de fusil ; comme elle était encore agitée de spasmes, la dépouille mortelle a reçu sa troisième décharge. Quand il l'a ramené à Saint-Firmin, il n'était guère beau à voir, le lièvre du Mohler, à se demander à quelle espèce vivante avait appartenu cette fourrure sanglante. Mon oncle qui a dépouillé et vidé le futur civet, a passé un temps considérable à en extraire les plombs. Ce qui lui donne autant de mérite dans la réussite du civet que la Nénette peut en avoir pour l'avoir pris en charge après lui.
Le Mohler a une carrure impressionnante . Il est chasseur , pêcheur , chercheur de champignons, sans doute un peu braconnier aussi, à l'occasion. Il connaît les bois et les prés, les monts et les vaux, les sentes et layons. Il nous apparaît aujourd'hui enveloppé d'une immense houppelande kaki et ressemble à un berger qui aurait perdu houlette, chiens et troupeau.
-Robert , tu vois le manteau du Mohler ? interroge mon oncle. Ca, c'est du manteau ! C'est ce que les soldats mettent pour monter la garde. C'est chaud, imperméable, pratique, pour tout dire, idéal pour guetter au bord de l'eau le départ d'un flotteur lorsqu'à la pêche au vif on espère longuement la touche par les froides matinées de décembre...
Justement, dans sa grande bonté, le Mohler pourrait me vendre une cape semblable à la sienne. Je flaire comme un piège. Il en a encore une, une seule, qu'il ne vendrait qu'à un ami à cause de la qualité et de la rareté du produit. Le prix serait aussi un prix d'ami : cent francs, un don pour ainsi dire. Et le propriétaire de la houppelande s'en dévêt afin que je l'essaie .
Je m'enveloppe dans le vaste habit. Je tiens tout à la fois de l'hôte des ponts de Paris et de l'épouvantail à moineaux. Ce qui me reste de dignité me sert à offrir à la compagnie un sourire dubitatif immédiatement interprété.
- Laisse-le , dit mon oncle à son ami . Il n'y connaît rien et son porte-monnaie est en peau de hérisson .
Sur ce jugement aussi injuste que fallacieux, je quitte la distillerie pour me remplir les poumons d'une bouffée d'air frais, sauter dans ma voiture et rentrer à la maison.
Pendant que je pédalais, insouciant, sur les chemins de montagne, mon oncle a passé son après-midi à regarder couler le raffin des cuissons du matin. Sa capacité à laisser s'élaborer les choses au rythme convenable, sans jamais une marque d'impatience, mérite mon admiration et je lui rends hommage, à lui, qui jamais ne lira ces lignes.
Vingt heures. Le téléphone. On m'annonce la fin de la journée "distillation". Je suis convié à assister à la phase ultime.
Retour à la distillerie .
Près de l'alambic veillent Bastien, la Nénette enfin libérée des tâches ménagères et le "Dauphin" qu'aucune succession monarchique n'attend mais qui, simplement porte ce royal patronyme ; c'est un voisin associé à la récolte des fruits.
Dernières mesures du degré d'alcool , rangements. Arrive le moment attendu du partage du produit entre co-récoltants. On se replie chez le Dauphin en dissimulant au mieux notre schnaps. Car personne ne distille sans enfreindre peu ou prou la législation draconienne relative à la goutte produite par les bouilleurs de crus.
Dans la distillerie, nous ne serions pas à l'abri d'un contrôle inopiné et indésirable des gabelous chargés de faire respecter la loi. La cuisine des voisins offre un abri plus sûr.
Les seaux d'eau de vie sont posés sur la table. On amène notre schaps à 50° par adjonction d'eau pure.
Et les conversations vont bon train sur les contrôles du service douanier de répression des fraudes, histoires où tour à tour contrevenants et hommes de loi ont le dernier mot.
Je soupçonne mon oncle Bastien de distiller pour ce jeu de gendarmes et de voleurs pour adultes. Frauder est pour lui une provocation, une revanche sur la contraignante législation, un défi sportif.
Quant à moi, je vais devoir transporter, en toute illégalité bien entendu, les quinze litres d'eau de vie qui me reviennent. Je dissimule sommairement ma bonbonne dans le coffre de ma voiture, sans aucun espoir qu'elle puisse échapper au regard du douanier le moins perspicace.
Avant mon départ dans ce périlleux équipage, on prend soin de me parler des contrôles opérés l'an passé sur l'itinéraire que je vais emprunter ...Veut-on me faire peur, se faire peur aussi ?
- Tu téléphoneras dès que tu seras arrivé , me demande Bastien inquiet.
Au retour , comme promis , j'ai appelé mon oncle.
- Allo ! Bastien ?.....
- Oui !
- Je t'appelle de Fleury - Mérogis . Pense à mes oranges!
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tirage de la cheminée....
Enfin, confronté à mon évident désarroi teinté dèjà de repentir, me voyant atterré, mon oncle me rassure : le mal n'est que partiel ; il n'est pas définitif. Tout sera corrigé lors de l'élaboration du raffin, opération délicate pour laquelle "on" se passera de mes services. La sanction, pour dire vrai, ne me déplaît pas complètement et va me rendre ma liberté pour l'après-midi .
En attendant, je ne couperai pas à la quatrième cuisson et celle-ci sera menée avec la lenteur qui sied. Elle est agrémentée de l'arrivée du "Mohler", un ami de mon oncle. Ce paysan très couleur locale porte un surnom dont je n'ai pas réussi à déterminer la justification. A ma connaissance, le "Mohler"(le peintre), n'a jamais rien peint...
Il a été attiré par le civet de lièvre que la "Nénette" , ma tante, en cuisine depuis neuf heures du matin, est en train de mitonner.
Il faut dire que c'est lui, le Mohler, qui a fourni le lièvre, ce qui mérite bien une invitation à le déguster.
J'ai même eu droit , tout à l'heure , de la bouche même de mon oncle , au récit du massacre de l'innocent animal. Existe-t-il entre eux une occulte concurrence ? Il m'a souvent été donné d'observer que les chasseurs n'ont pas d'indulgence les uns pour les autres. Ils s'accusent volontiers des pires turpitudes. En voici une illustration. Le Mohler a été lamentable. Il a tiré ce lièvre à bout portant, ce qu'un vrai chasseur ne fait jamais ! Il s'est ensuite approché de la bête agonisante pour la gratifier d'un second coup de fusil ; comme elle était encore agitée de spasmes, la dépouille mortelle a reçu sa troisième décharge. Quand il l'a ramené à Saint-Firmin, il n'était guère beau à voir, le lièvre du Mohler, à se demander à quelle espèce vivante avait appartenu cette fourrure sanglante. Mon oncle qui a dépouillé et vidé le futur civet, a passé un temps considérable à en extraire les plombs. Ce qui lui donne autant de mérite dans la réussite du civet que la Nénette peut en avoir pour l'avoir pris en charge après lui.
Le Mohler a une carrure impressionnante . Il est chasseur , pêcheur , chercheur de champignons, sans doute un peu braconnier aussi, à l'occasion. Il connaît les bois et les prés, les monts et les vaux, les sentes et layons. Il nous apparaît aujourd'hui enveloppé d'une immense houppelande kaki et ressemble à un berger qui aurait perdu houlette, chiens et troupeau.
-Robert , tu vois le manteau du Mohler ? interroge mon oncle. Ca, c'est du manteau ! C'est ce que les soldats mettent pour monter la garde. C'est chaud, imperméable, pratique, pour tout dire, idéal pour guetter au bord de l'eau le départ d'un flotteur lorsqu'à la pêche au vif on espère longuement la touche par les froides matinées de décembre...
Justement, dans sa grande bonté, le Mohler pourrait me vendre une cape semblable à la sienne. Je flaire comme un piège. Il en a encore une, une seule, qu'il ne vendrait qu'à un ami à cause de la qualité et de la rareté du produit. Le prix serait aussi un prix d'ami : cent francs, un don pour ainsi dire. Et le propriétaire de la houppelande s'en dévêt afin que je l'essaie .
Je m'enveloppe dans le vaste habit. Je tiens tout à la fois de l'hôte des ponts de Paris et de l'épouvantail à moineaux. Ce qui me reste de dignité me sert à offrir à la compagnie un sourire dubitatif immédiatement interprété.
- Laisse-le , dit mon oncle à son ami . Il n'y connaît rien et son porte-monnaie est en peau de hérisson .
Sur ce jugement aussi injuste que fallacieux, je quitte la distillerie pour me remplir les poumons d'une bouffée d'air frais, sauter dans ma voiture et rentrer à la maison.
Pendant que je pédalais, insouciant, sur les chemins de montagne, mon oncle a passé son après-midi à regarder couler le raffin des cuissons du matin. Sa capacité à laisser s'élaborer les choses au rythme convenable, sans jamais une marque d'impatience, mérite mon admiration et je lui rends hommage, à lui, qui jamais ne lira ces lignes.
Vingt heures. Le téléphone. On m'annonce la fin de la journée "distillation". Je suis convié à assister à la phase ultime.
Retour à la distillerie .
Près de l'alambic veillent Bastien, la Nénette enfin libérée des tâches ménagères et le "Dauphin" qu'aucune succession monarchique n'attend mais qui, simplement porte ce royal patronyme ; c'est un voisin associé à la récolte des fruits.
Dernières mesures du degré d'alcool , rangements. Arrive le moment attendu du partage du produit entre co-récoltants. On se replie chez le Dauphin en dissimulant au mieux notre schnaps. Car personne ne distille sans enfreindre peu ou prou la législation draconienne relative à la goutte produite par les bouilleurs de crus.
Dans la distillerie, nous ne serions pas à l'abri d'un contrôle inopiné et indésirable des gabelous chargés de faire respecter la loi. La cuisine des voisins offre un abri plus sûr.
Les seaux d'eau de vie sont posés sur la table. On amène notre schaps à 50° par adjonction d'eau pure.
Et les conversations vont bon train sur les contrôles du service douanier de répression des fraudes, histoires où tour à tour contrevenants et hommes de loi ont le dernier mot.
Je soupçonne mon oncle Bastien de distiller pour ce jeu de gendarmes et de voleurs pour adultes. Frauder est pour lui une provocation, une revanche sur la contraignante législation, un défi sportif.
Quant à moi, je vais devoir transporter, en toute illégalité bien entendu, les quinze litres d'eau de vie qui me reviennent. Je dissimule sommairement ma bonbonne dans le coffre de ma voiture, sans aucun espoir qu'elle puisse échapper au regard du douanier le moins perspicace.
Avant mon départ dans ce périlleux équipage, on prend soin de me parler des contrôles opérés l'an passé sur l'itinéraire que je vais emprunter ...Veut-on me faire peur, se faire peur aussi ?
- Tu téléphoneras dès que tu seras arrivé , me demande Bastien inquiet.
Au retour , comme promis , j'ai appelé mon oncle.
- Allo ! Bastien ?.....
- Oui !
- Je t'appelle de Fleury - Mérogis . Pense à mes oranges!
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