C.R. d'une intervention chirurgicale
Posté : 27 janv. 2015, 10:10
Ca, c'est pour ceux qui ont un peu de temps à perdre !
Patients et médecins ...
22 janvier 2015 ...
J’ai choisi cette date, avec le chirurgien qui m’a pris en charge pour une opération de mon poignet droit.
C’est le plein hiver. Mes terres sont en latence. Le potager s’est endormi dans un novembre venteux, les quarante arbres de mon verger sont en attente de leur renaissance et moi de garder l’espoir de m’occuper d’eux au temps revenu des petites fleurs aux prés reverdis.
Insidieusement, le mal invalidant s’est invité dans mes poignets endoloris et l’inactivité permanente et installée guette le moment de frapper à la porte de ma destinée.
T’es un manuel ! ... m’avait lancé un ami, alors qu’en des circonstances oubliées
je réparais un organe malade de sa bicyclette. Jamais je ne m’étais posé cette question de savoir mon domaine de prédilection ... intellectuel ou manuel ? Aujourd’hui je sais que mon ami avait raison : Je suis un manuel ... maladroit.
Car autant je puis envisager de ne plus lire, de ne plus écrire, de ne plus compter, autant il m’est impossible de penser qu’un jour les araignées du destin tisseront leurs toiles sur les manches de mes outils de jardin abandonnés ou dans les rayons des roues de mes chers vélos.
22 janvier 2015. Le jour paresseux s’étire. Il nous faut partir à l’aube, mon épouse qui toujours m’a accompagné dans les moments marquants, heureux ou difficiles, et moi qui ai pris le volant, afin d’éviter les encombrements sempiternels de la capitale alsacienne.
Neuf heures. SOS Mains. Formalités d’entrée et salle d’attente.Banalités.
Je suis seul à présent. Mon épouse est partie, engloutie dans le dédale des rues de la cité et je suis là, sur une banquette, entouré de patients et patientes promis à un sort comparable à celui qui me sera fait. Je ne vois plus rien et sous mon crâne incliné, comme un nuage effiloché de brumes poussées par la brise, des pensées me submergent lentes et presque douces comme une anesthésie générale .
J’imagine par moments l’opération que je vais subir, une «dénervation» de mon poignet droit, et je me demande ce que recouvre cette terminologie bouchère réservée au foie gras des fêtes païennes ou religieuses ... Et puis cette solitude silencieuse et insidieuse, dans la discrète agitation de la salle d’attente, comme une accoutumance à celle, définitive, qui sera celle de notre seconde ultime ... Impossible de ne penser dans ces moments là, au mot FIN qui s’inscrira au bout du chemin.
Je ne sais plus depuis combien de temps je suis là. J’entends une petite voix prononcer mon nom ... une interrogation
Monsieur Develotte ?
Oui
Suivez moi
J’emboîte le pas d’une jeune-fille et me retrouve dans un couloir impersonnel et indescriptible dans son apparent désordre. Un objet que j’ai déjà vu dans les piscines est devant moi : il est destiné à recevoir ce que je porte, vêtements, chaussures, montre, sac ...
La jeune fille me donne ses consignes alors que je suis déjà hors de tout univers matériel: J’entends bien mais n’assimile plus rien, le vrai «manuel» décrit plus haut, en outre décervelé :
... «En slip et chaussettes ... mettrez ça ...» et comme une elfe des forêts nordiques elle disparaît, mon guide. J’étais ailleurs, je n’ai rien entendu, au sens ancien de ce verbe.
En devoir de me débrouiller, me voilà comme dans un rêve. Me déshabiller ne pose aucun problème. Par contre, me déguiser en futur opéré serait, sans aucun doute, un bon sujet de sketch cinématographique dans le registre comique ridicule. Déshabillé, j’ai saisi le premier accessoire venu. Je le pense destiné à ma tête, me mets en devoir de m’en couvrir ainsi que j’ai vu couvertes la tête des soignants ... ça ne passe pas ... j’essaie un autre sens ... ça ne passe pas non plus ... j’inspecte l’objet ... Je profère à mi-voix le M....de monsieur Cambrone ... c’est trop petit. C’est un truc pour les gosses ! Enfin je comprends (même un manuel peut comprendre l’élémentaire) ... Je suis en train d’essayer de me coiffer d’un couvre-chaussettes !
Dans l’espoir de n’avoir été observé par personne, je couvre mes pieds des couvre-chaussettes enfin replacés et me coiffe du bonnet en un tournemain. Reste la blouse d’opéré que, bien entendu, j’essaie de passer à l’envers. Fort heureusement survient mon elfe qui m’aide à revêtir mon uniforme.
On m’installe alors sur un lit, on me promène dans un univers magique de lumières artificielles, je ne m’appartiens plus ! Je suis l’objet du docteur Meurice qui va rapidement entreprendre une anesthésie de mon bras droit.
Les rapports humains comportent des curiosités. Je suis très introverti, presque secret. Je peux voyager dans un compartiment de train, être en attente dans une salle du même nom pendant des heures sans un regard ni une parole pour mes semblables.
Cependant, entre son patient et le médecin s’établit un contact, obligatoire, pas toujours chaleureux ...
Le docteur Meurice est une dame blonde qui vole autour des lits des patients, légère, presque aérienne ; on se demande si ses pieds posent sur le sol. J’ai un sourire intérieur, cela m’arrive souvent, et souvent, j’intériorise égoïstement mes pensées. Le docteur Meurice porte une longue cape médicale de mousseline bleue ... et soudain je pense à ces élégantes libellules appelées demoiselles qui, au bleu des belles journées d’été, survolent les plans d’eau. Je communique à mon futur «bourreau» cette image fugace et légère qui m’est venue. Elle en sourit ... mais moi, je souris moins. Le médecin n’est plus libellule ! Il s’est saisi de ses instruments de torture et m’envoie dans le bras des décharges électriques très désagréables. L’une d’elle m’arrache un :
- «Aie ! La vache !»
Je regrette immédiatement cette vulgarité involontaire, prie mon médecin de m’en excuser ...
Elle le fait volontiers, elle comprend la douleur humaine !
Mon anesthésie locale progresse, mon bras s’endort très lentement ; de proche en proche, au fur et à mesure que mon entrée en salle d’opération approche, j’apprécie cette présence intermittente mais réconfortante et devenue pour un temps amicale du docteur Meurice ...
Et me voilà véhiculé dans la salle d’opération. L’infirmier me prépare. Arrive le Docteur Rapp, chirurgien réputé de la main.
Mon bras est étendu au delà d’un rideau opaque, dans un univers étranger. Je ne vois rien de lui, il est un bout de mon corps devenu étranger. Et le bon docteur se met en devoir de me découper, tout en me parlant «vélo», une passion que nous partageons. Et défilent les images du lointain Izoard, vaux et monts, soleils et orages.
J’en suis persuadé, un cycliste ne peut être que bon ! J’ai donc été bien opéré et je vais guérir.
«C’est fini» m’annonce le chirurgien.
Ca n’a pas été long, une heure sans souffrances réelles. On me promène à nouveau sur le lit que je n’ai plus quitté vers la salle dite de réveil, de réveil bien que jamais je n’ai été réellement endormi. Tout y est calme, manque la volupté !
«vous pourrez vous rhabiller dans une dizaine de minutes, si votre tension est normale» m’annonce l’infirmier.
Me rhabiller ? avec un bras immobilisé, insensible, objet sans vie devenu inutile, et une main droite encapuchonnée ?
Heureusement, revient l’elfe habile qui connaît tout du processus d’habillage d’un invalide. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, je suis debout devant ma femme. Elle m’attend depuis plus de deux longues heures ; l’amour est insensible au temps qui passe.
A l’imitation de Jacques Prévert qui parle du réveil du cancre (la craie redevient falaise - la plume redevient oiseau) tout reprend sa place : Ma femme attentionnée, les couloirs de l’hôpital et la porte qui s’ouvre sur la ville et la LIBERTE ...
MERCI DOCTEURS !
Patients et médecins ...
22 janvier 2015 ...
J’ai choisi cette date, avec le chirurgien qui m’a pris en charge pour une opération de mon poignet droit.
C’est le plein hiver. Mes terres sont en latence. Le potager s’est endormi dans un novembre venteux, les quarante arbres de mon verger sont en attente de leur renaissance et moi de garder l’espoir de m’occuper d’eux au temps revenu des petites fleurs aux prés reverdis.
Insidieusement, le mal invalidant s’est invité dans mes poignets endoloris et l’inactivité permanente et installée guette le moment de frapper à la porte de ma destinée.
T’es un manuel ! ... m’avait lancé un ami, alors qu’en des circonstances oubliées
je réparais un organe malade de sa bicyclette. Jamais je ne m’étais posé cette question de savoir mon domaine de prédilection ... intellectuel ou manuel ? Aujourd’hui je sais que mon ami avait raison : Je suis un manuel ... maladroit.
Car autant je puis envisager de ne plus lire, de ne plus écrire, de ne plus compter, autant il m’est impossible de penser qu’un jour les araignées du destin tisseront leurs toiles sur les manches de mes outils de jardin abandonnés ou dans les rayons des roues de mes chers vélos.
22 janvier 2015. Le jour paresseux s’étire. Il nous faut partir à l’aube, mon épouse qui toujours m’a accompagné dans les moments marquants, heureux ou difficiles, et moi qui ai pris le volant, afin d’éviter les encombrements sempiternels de la capitale alsacienne.
Neuf heures. SOS Mains. Formalités d’entrée et salle d’attente.Banalités.
Je suis seul à présent. Mon épouse est partie, engloutie dans le dédale des rues de la cité et je suis là, sur une banquette, entouré de patients et patientes promis à un sort comparable à celui qui me sera fait. Je ne vois plus rien et sous mon crâne incliné, comme un nuage effiloché de brumes poussées par la brise, des pensées me submergent lentes et presque douces comme une anesthésie générale .
J’imagine par moments l’opération que je vais subir, une «dénervation» de mon poignet droit, et je me demande ce que recouvre cette terminologie bouchère réservée au foie gras des fêtes païennes ou religieuses ... Et puis cette solitude silencieuse et insidieuse, dans la discrète agitation de la salle d’attente, comme une accoutumance à celle, définitive, qui sera celle de notre seconde ultime ... Impossible de ne penser dans ces moments là, au mot FIN qui s’inscrira au bout du chemin.
Je ne sais plus depuis combien de temps je suis là. J’entends une petite voix prononcer mon nom ... une interrogation
Monsieur Develotte ?
Oui
Suivez moi
J’emboîte le pas d’une jeune-fille et me retrouve dans un couloir impersonnel et indescriptible dans son apparent désordre. Un objet que j’ai déjà vu dans les piscines est devant moi : il est destiné à recevoir ce que je porte, vêtements, chaussures, montre, sac ...
La jeune fille me donne ses consignes alors que je suis déjà hors de tout univers matériel: J’entends bien mais n’assimile plus rien, le vrai «manuel» décrit plus haut, en outre décervelé :
... «En slip et chaussettes ... mettrez ça ...» et comme une elfe des forêts nordiques elle disparaît, mon guide. J’étais ailleurs, je n’ai rien entendu, au sens ancien de ce verbe.
En devoir de me débrouiller, me voilà comme dans un rêve. Me déshabiller ne pose aucun problème. Par contre, me déguiser en futur opéré serait, sans aucun doute, un bon sujet de sketch cinématographique dans le registre comique ridicule. Déshabillé, j’ai saisi le premier accessoire venu. Je le pense destiné à ma tête, me mets en devoir de m’en couvrir ainsi que j’ai vu couvertes la tête des soignants ... ça ne passe pas ... j’essaie un autre sens ... ça ne passe pas non plus ... j’inspecte l’objet ... Je profère à mi-voix le M....de monsieur Cambrone ... c’est trop petit. C’est un truc pour les gosses ! Enfin je comprends (même un manuel peut comprendre l’élémentaire) ... Je suis en train d’essayer de me coiffer d’un couvre-chaussettes !
Dans l’espoir de n’avoir été observé par personne, je couvre mes pieds des couvre-chaussettes enfin replacés et me coiffe du bonnet en un tournemain. Reste la blouse d’opéré que, bien entendu, j’essaie de passer à l’envers. Fort heureusement survient mon elfe qui m’aide à revêtir mon uniforme.
On m’installe alors sur un lit, on me promène dans un univers magique de lumières artificielles, je ne m’appartiens plus ! Je suis l’objet du docteur Meurice qui va rapidement entreprendre une anesthésie de mon bras droit.
Les rapports humains comportent des curiosités. Je suis très introverti, presque secret. Je peux voyager dans un compartiment de train, être en attente dans une salle du même nom pendant des heures sans un regard ni une parole pour mes semblables.
Cependant, entre son patient et le médecin s’établit un contact, obligatoire, pas toujours chaleureux ...
Le docteur Meurice est une dame blonde qui vole autour des lits des patients, légère, presque aérienne ; on se demande si ses pieds posent sur le sol. J’ai un sourire intérieur, cela m’arrive souvent, et souvent, j’intériorise égoïstement mes pensées. Le docteur Meurice porte une longue cape médicale de mousseline bleue ... et soudain je pense à ces élégantes libellules appelées demoiselles qui, au bleu des belles journées d’été, survolent les plans d’eau. Je communique à mon futur «bourreau» cette image fugace et légère qui m’est venue. Elle en sourit ... mais moi, je souris moins. Le médecin n’est plus libellule ! Il s’est saisi de ses instruments de torture et m’envoie dans le bras des décharges électriques très désagréables. L’une d’elle m’arrache un :
- «Aie ! La vache !»
Je regrette immédiatement cette vulgarité involontaire, prie mon médecin de m’en excuser ...
Elle le fait volontiers, elle comprend la douleur humaine !
Mon anesthésie locale progresse, mon bras s’endort très lentement ; de proche en proche, au fur et à mesure que mon entrée en salle d’opération approche, j’apprécie cette présence intermittente mais réconfortante et devenue pour un temps amicale du docteur Meurice ...
Et me voilà véhiculé dans la salle d’opération. L’infirmier me prépare. Arrive le Docteur Rapp, chirurgien réputé de la main.
Mon bras est étendu au delà d’un rideau opaque, dans un univers étranger. Je ne vois rien de lui, il est un bout de mon corps devenu étranger. Et le bon docteur se met en devoir de me découper, tout en me parlant «vélo», une passion que nous partageons. Et défilent les images du lointain Izoard, vaux et monts, soleils et orages.
J’en suis persuadé, un cycliste ne peut être que bon ! J’ai donc été bien opéré et je vais guérir.
«C’est fini» m’annonce le chirurgien.
Ca n’a pas été long, une heure sans souffrances réelles. On me promène à nouveau sur le lit que je n’ai plus quitté vers la salle dite de réveil, de réveil bien que jamais je n’ai été réellement endormi. Tout y est calme, manque la volupté !
«vous pourrez vous rhabiller dans une dizaine de minutes, si votre tension est normale» m’annonce l’infirmier.
Me rhabiller ? avec un bras immobilisé, insensible, objet sans vie devenu inutile, et une main droite encapuchonnée ?
Heureusement, revient l’elfe habile qui connaît tout du processus d’habillage d’un invalide. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, je suis debout devant ma femme. Elle m’attend depuis plus de deux longues heures ; l’amour est insensible au temps qui passe.
A l’imitation de Jacques Prévert qui parle du réveil du cancre (la craie redevient falaise - la plume redevient oiseau) tout reprend sa place : Ma femme attentionnée, les couloirs de l’hôpital et la porte qui s’ouvre sur la ville et la LIBERTE ...
MERCI DOCTEURS !