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Les rêves et la vie
Posté : 19 avr. 2025, 08:48
par Robert
Je prépare mes belles chaussures de vélo jaunes. Je viens de les acheter. Elles brillent, attirent les regards sciemment. Elles habillent bientôt mes pieds.
Je vais monter sur mon vélo, me diriger vers le village où réside mon ami Léo. Un petit clic et c’est parti.
Nous n’avons aucun projet. Nous avons juste décidé de faire une sortie commune. Peu nous importe la météo. Nous partirons à l’aventure.
…….
Cependant, jour se lève. Doucement, je m’éveille. Péniblement, j’ouvre des yeux collés par un sommeil alourdi par les somnifères. Tout ce qui précède n’était qu’un rêve.
……..
Ce sera un jour gris, comme hier, que je vais user sur mon fauteuil roulant. Je n’ai pas le moindre projet. Lecture… Écriture… Journal… Télé… Sommeil… Lecture… Rien qui puisse retenir l’attention. Un jour désespérément uniforme, à oublier. Rien ne sera digne de s’inscrire dans ma mémoire. Demain, je serai incapable de dire ce que j’ai fait la veille pour la bonne raison que je n’aurais rien fait… ainsi passent les jours, les nuits, les semaines, les mois. Mon horloge du temps s’est arrêtée il y a bien longtemps, le 7 décembre 2023. Parfois, dans un éclair, je revois l’accident. J’aurais dû voir l’obstacle, placer ma roue avant différemment, partir cinq minutes plus tôt ou plus tard, ce fichu arbre n’aurait pas dû tomber… Trop tard.
……..
–Robert ! Arrête de te lamenter…
–Oui mon âme, tu as raison.
–Souviens-toi de ce que tu as vu sur l’écran noir de ta télévision hier soir :
Une petite femme en pleurs. Un destin cruel vient d’arracher de ses bras son amour de petit garçon. Ils étaient ensemble sur un espace réservé aux piétons. Le véhicule qui promène les touristes a surgi par là bien trop vite et sans autorisation. L’accident. Le petit garçon est mort sous les yeux de sa maman… et depuis elle pleure cette petite maman…
Un jeune couple, une petite fille dans un berceau blanc. Les jeunes parents viennent d’apprendre par le médecin pédiatre que leur petite fille est atteinte d’une maladie complètement incurable. Une maladie rare. Elle ne marchera jamais. Elle ne parlera jamais . Jamais. Elle est là toute petite recroquevillée dans son petit lit. Le papa courageux fait face au destin. Il fera tout pour sa petite fille.
La vie est là. Elle n’est ni simple ni tranquille. Faut-il tant de malheur pour un petit bout de l’hymne à la joie ?
……..
Il me faut me souvenir du texte d’Alfred de Vigny intitulé « la mort du loup. »
Avec Léo, sur nos vélos, nous nous récitions ce texte :
« Gémir, pleurer, prier est également lâche. Fais énergiquement ta longue et lourde tache, puis comme moi, Souffre et meurs sans parler. »
Alors ? Alors il faudrait qu’il m’en souvienne… que vienne la résignation.
Re: Les rêves et la vie
Posté : 19 avr. 2025, 09:13
par Lolo90
C'est trop beau Robert
Le paradoxe c’est que que tu sembles être déprimer à pleurer sur ton sort, et on le serait à moins. Mais par tes actes tu démontres que tu as une force de caractère hors du commun pour t’en sortir et te rendre la vie la plus autonome possible malgré ton handicap
Tu nous donnes une sacrée leçon de vie
Re: Les rêves et la vie
Posté : 20 avr. 2025, 16:06
par phiphi76
Oui Lolo, une sacré leçon ! Mais cela me fait tellement de mal de lire cela que je n'arrive pas à écrire sur ce sujet, c'est comme ça, mais cela ne m'empêche pas de compatir, mais je ne souhaite pas écrire quoi que se soit qui ne pourrait qu'affecter un peu plus notre pote Robert.
Je pense beaucoup à ce que tu peux endurer Robert, cela me peine énormément.
@ cyberpotes + !
Re: Les rêves et la vie
Posté : 25 avr. 2025, 14:03
par Robert
Un petit mot pour vous rassurer mes amis.
Il m’arrive de recevoir des amis qui compatissent et me plaignent de mon état. Je leur en suis gré.
Aujourd’hui un ami et ancien collègue que je connais depuis plus de 60 ans, est passé à la maison. Il a 88 ans comme le pape. Et je ne l’envie pas…
Certes, il est plus indépendant que moi, apparemment, mais…
Sa main droite tremble. Il est perclus de rhumatismes. Il souffre d’hypertension malgré les médicaments. Son équilibre est instable. Il peut conduire une voiture mais il est alors un danger public.
Il souffre de diabète et doit surveiller son alimentation de manière stricte. Son appareil digestif lui donne par ailleurs beaucoup de soucis… il ne passe de semaine sans qu’il consulte un médecin…
Je disais à Josette que finalement, je n’échangerai pas mon état de santé contre le sien !
Car en effet je suis un invalide … en bonne santé !
Re: Les rêves et la vie
Posté : 17 juil. 2025, 09:03
par Robert
Mise à jour d’un rêve d’un invalide sous l’effet d’un somnifère !
……
Hier j’ai demandé à mon fils : qu’est donc devenu Rémi Dupont.
Note : Rémi Dupont et l’un de mes anciens élèves, devenu berger.
Je ne connais rien à ce métier de berger. Une bonne raison pour en parler après un rêve.
Le berger vit au milieu de son troupeau. Il est assis dans la campagne. Il a près de lui deux chiens. Il a pris l’odeur de ses brebis et de ses chiens. Ses habits démodés et déchirés sentent la sueur des brebis, celle des chiens et la sienne aussi..
Il sait combien de bêtes a son troupeau. Cent, 200,300… Plus peut-être. Il les aime toutes. Et pourtant…
Un jour il les tond. Les brebis qui étaient rondes sont toutes maigres. Le berger vend la laine des moutons…
Un jour, il les trait. Le Berger vend le lait de ses brebis et il en fait du fromage.
Un autre jour il les tue. Les brebis sont de la viande. Le berger vend de la viande. Il fait parfois un méchoui ! C’est la fête de l’Aïd el-Kébir.
Le berger, vit de musique, celle des brebis qui bêlent, celle du vent dans les buissons ou sur les pierres des déserts, ou dans les grands arbres. Le berger aime la musique.
Le berger est très riche, des odeurs et des musiques qu’il perçoit… il s’appelle Dupont, mais ne vit pas sous les ponts de Paris.
Et plus j’y pense, et plus je voudrais être un berger !
…..
Et soudain, l’Aurore m’éveille. Je ne suis pas berger. Je ne suis que moi !
Re: Les rêves et la vie
Posté : 20 juil. 2025, 08:44
par Robert
- Robert !
- Oui..
Tu connais Claire ? C’est notre voisine. Elle est comme toi complètement paralysée. Alors qu’elle était arrêtée dans sa voiture par un feu rouge, un camion l’a heurtée violemment. Tête, projetée en arrière. Rupture des vertèbres cervicales… Désormais elle est comme toi et vit dans un fauteuil roulant. Nous allons te la présenter.
Hier encore, les yeux mi clos, je revoyais cette terrible journée du 7 janvier, qui allait si lourdement tracer le reste de mes jours. il aurait fallu si peu pour m’éviter ce drame. Si l’arbre était tombé un peu plus tard, si j’étais parti au milieu de l’après-midi, si…
J’ai longtemps espéré avant d’entrer dans le monde bien fermé de l’invalidité. Je n’ai jamais rencontré personne à ce jour aussi lourdement handicapé que moi. Je vais enfin le faire. Je vais rencontrer Claire et nous pourrons parler ensemble de notre quotidien.
En attendant Claire, je repasse dans ma tête tout ce que je vais lui dire, mes espoirs déçus, le monde qui se referme autour de moi, mes misères physiques… Et morales.
Comment vais-je placer ma jambe inerte dans la gouttière de mon fauteuil, roulant, sans que mon dos ne se rappelle à moi. Où mettre ma main, pleine de fourmis et insensible.
Enfin… Je vais rencontrer quelqu’un avec qui, je vais partager ce bout de vie qui reste.
Mais déjà l’Aurore émerge
De rose teintant la berge
Et s’envolent les chimères
Comme un essaim d’éphémères..
Ma fenêtre, soudain s’éclaire. C’est un jour nouveau. Il n’y aura pas de Claire. Juste des éclairs pour me rappeler les orages d’antan.
Re: Les rêves et la vie
Posté : 20 juil. 2025, 09:34
par Lolo90
C'est assez mélancolique mais c'est vraiment fort de pouvoir raconter tes rêves
Et c'est toujours super bien écrit Robert
Tu devrais te renseigner s'il n'y a pas, à Abreschwiller ou dans un autre centre proche de Sarrebourg, des groupes de paroles où tu pourrais rencontrer et échanger avec des personnes handicapés suite à un accident comme toi
Re: Les rêves et la vie
Posté : 25 juil. 2025, 13:49
par Robert
Version originale de la chute.
La vie est là, simple et tranquille.
L’année nouvelle venait de commencer. À l’aube ce matin là le ciel était en deuil. Devant la tasse de mon café noir du petit déjeuner, je me suis dit : encore une journée où me sera imposé un confinement météorologique.
Au midi sonnant, le soleil nous fit un coucou derrière un rideau de nuages blancs.
-Tu ne sors pas, m‘interroge Josette ?
« …. Je ne sais pas, peut être aller faire un tour du côté de la maison forestière dite de Haberhacker. »
Désormais le soleil brille, je suis sur la route, le ciel est bleu, et j’aurais presque envie de chanter en descendant le chemin piétonnier de la vallée des éclusiers.
Alors que j’aborde le passage où mon chemin fait un S pour passer sous le pont de chemin de fer, alors que je suis encore dans mon rêve d’une balade en montagne, le tronc d’un arbre que je n’ai pas deviné se trouve en travers de ma route. En une fraction de seconde, je décide de passer l’obstacle. Las, ma roue est bloquée par l’obstacle, et moi de passer par-dessus mon vélo. Mon casque frotte sur la chaussée et se trouve soudain arrêté.C’est mon corps brutalement projeté qui me brise la nuque. Je suis pleinement conscient de la situation et tente de me relever. Il me faut un instant pour comprendre que je suis complètement paralysé, que je n’ai plus l’usage, ni de mes jambes, ni de mes bras ni de mes mains. Je suis là, affalé sur l’asphalte comme un simple objet.
Je reste ainsi une minute quand survient un cycliste qui se propose de téléphoner aux secours.
-Tu as un téléphone ? Me demande-t-il.
-Oui, au guidon de mon vélo.
Le cycliste inconnu me prévient tout de suite de ne pas bouger de ma position initiale et qu’il attend les secours. En effet, il a téléphoné au 15 et aux pompiers de la localité la plus proche.
Sur ces entrefaits, plusieurs promeneurs se sont arrêtés. Parmi eux, une femme qui me rassure en me disant qu’elle est médecin.
Les minutes me semblent des siècles dans la froidure de ce début d’après-midi de janvier.
Enfin arrivent les secours.
Après avoir découpé soigneusement mes vêtements à l’aide de ciseaux, je suis placé par les pompiers dans une coquille, pour un transport au service des urgences de l’hôpital de Sarrebourg.
Je viens de me rappeler de ma chute, telle que je l’ai vécue en réalité, le 7 janvier 2023 à 13h30.(rappel, ci-dessus.)
Ce matin mes chimères matinales m’ont ramené à ce terrible moment de ma vie.
Je viens d’en refaire rapidement en rêve deux versions différentes. La première est la plus dramatique. La deuxième fait preuve d’un optimisme outrancier ! Ce ne sont que des rêves.
….. Version pessimiste :
Je suis sur mon vélo électrique à la sortie d’un virage à angle droit. Sur ma route, un arbre vient de tomber. Je n’ai rien vu, rien prévu, et ma roue déjà va toucher le tronc de l’arbre couché.
Non, je ne vais pas le prendre plein pot dans l’espoir de passer au-dessus sans dommage. Non, l’obstacle est trop haut. Alors… Alors je donne un petit coup de guidon pour aller vers la droite, du côté du canal.
Mais voilà que dans l’élan je passe le feuillage des branches de l’arbre tombé. Un bruit énorme de chute dans l’eau froide de décembre. Je me raidis, un soubresaut, mon cœur se fige, je m’immobilise. L’eau noire et glaciale du canal envahit mes poumons.
Mon beau vélo est resté sur la berge alors qu’un cycliste et deux promeneuses qui passaient juste à ce moment se sont arrêtés. ils ont entendu. Soudain, ils comprennent.
Ils perçoivent le corps inerte qui flotte entre deux eaux. Téléphone. Le 15. Les pompiers sont alertés.
On attend de longues minutes au bord de l’eau noire du canal. Longtemps. Longtemps. Longtemps.
Un Véhicule rouge, un gyrophare, de l’agitation, une gaffe et un pompier tire mon corps sur la berge.
On me déshabille, on m’examine, on me fait un massage cardiaque, je ne sens rien. Au sens commun que l’on donne à ce mot, je suis mort. On s’agite sur la berge . Prévenir. Transporter ce corps à la morgue…
Mais la mort, nul ne la connaît. Pendant ce temps où je flottais dans l’eau noire, pendant ce temps où je gisais sur la berge du canal j’ai pensé. J’ai pensé à l’insu de ceux qui m’entourent.
J’ai pensé à vous les vivants qu’un temps, je vais plonger dans l"affliction et le deuil.
Je ne crois pas que la mort puisse être un point final... les adieux ne sont que des au revoir. Ce que l’on appelle fin est le début d’une autre vie … j’espère retrouver tous ceux que j’aime et que j’ai aimé…
On me pardonnera, j’espère, cette pensée métaphysique si proche , celle des religions classiques monothéistes. C’est précisément parce que j’ai ma propre religion ! Je n’ai besoin ni de prêtre, ni d’évêque, ni de pape, ni de pope, ni de Bible, ni de Coran, ni d’église, ni de mosquées, ni de synagogue, ni de croix, ni de kippa… je suis un druide!
… Version optimiste.
Le soleil pâle de janvier éclaire la piste cyclable. Je suis heureux sur mon vélo et je chante une vieille chanson restée dans ma mémoire. Dans ma tête, déjà se dessine la balade que
j’ai prévue :
Lutzelbourg ,Stambach, la petite maison de pierre, la montée, sur la route, le banc où nous nous reposons, puis le chemin et enfin la maison forestière Haberhacker où je m’arrêterai.
Mais soudain je me trouve devant un obstacle sur la piste... Je n’ai que la solution de tourner mon guidon vers le fossé, car le tronc de l’arbre qui vient de tomber est infranchissable.
Un grand froissement de branches et me voilà étalé dans la verdure et la boue du fossé. Mon vélo est resté plus loin, bloqué dans les branches et les vertes frondaisons persistantes..
Je suis tombé, mais tout va bien. Je suis intact, mon vélo aussi. Je me relève, je dégage mon vélo des branches , je fais quelques pas et je suis sur la piste. Tout va bien. Même mon téléphone a bien voulu rester attaché au guidon de ma bécane.
Derrière moi un cycliste s’est arrêté, il franchit l’arbre tombé. Nous nous saluons.
–T’as rien, demande-t-il.
- Non, ça va, je repars.
Un peu plus loin, je croise deux dames inconnues qui se promènent. Je leur fais un signe de la main. Et me voilà pédalant sur ma route familière. Je serai bientôt à Lutzelbourg.
Une Chute sans gravité. Ouf !
Re: Les rêves et la vie
Posté : 26 juil. 2025, 21:33
par benoit
Ça donne toujours la chair de poule le fait de lire le récit de ton accident,avec Claire vous allez pouvoir vous comprendre mieux que le commun des mortels
Re: Les rêves et la vie
Posté : 27 juil. 2025, 09:08
par Lolo90
benoit a écrit : ↑26 juil. 2025, 21:33
Ça donne toujours la chair de poule le fait de lire le récit de ton accident,avec Claire vous allez pouvoir vous comprendre mieux que le commun des mortels
Il faut juste que Claire ne soit pas qu'un rêve
