Quand j'étais môme, le garde-champêtre tambourinait sur la place du village, criait alentours "Avis à la population !" pour informer et rappeler les règles.
Dans cette rubrique, quelques rappels de l'attitude Cyberpotes. Vous trouverez aussi, à l'occasion des infos destinées à tous !
Ah je lis que tu as été à Pfortzheim que je prononçais Forcheim
Je connais donc le l'endroit de votre supplice
C’est vrai que c’est assez difficile de supporter l’autorité par un gars appelé comme vous tous et qui grâce à deux petits galons se délectait de vous en faire baver.
Je pense que ce sont dans ces conditions que l’on peut cerner le réel caractère d’une personne
Chez certains c’est le côté obscure qui ressort.
Malheureusement je ne pense pas que ces proches aient eu un jour la vraie facette de cet individu
Après nos classes nous avions intégré notre escadron et nous étions sous les ordres d’un lieutenant engagé qui était très ouvert d’esprit.
Lolo90 a écrit : ↑01 août 2023, 08:50
Ah je lis que tu as été à Pfortzheim que je prononçais Forcheim
Je connais donc le l'endroit de votre supplice
C’est vrai que c’est assez difficile de supporter l’autorité par un gars appelé comme vous tous et qui grâce à deux petits galons se délectait de vous en faire baver.
Je pense que ce sont dans ces conditions que l’on peut cerner le réel caractère d’une personne
Chez certains c’est le côté obscure qui ressort.
Malheureusement je ne pense pas que ces proches aient eu un jour la vraie facette de cet individu
Après nos classes nous avions intégré notre escadron et nous étions sous les ordres d’un lieutenant engagé qui était très ouvert d’esprit.
Note: je dresse des portraits de militaires, pas très flatteurs. Bien entendu, il m’est arrivé souvent de croiser des militaires respectables, ouverts d’esprit. J’ai même entretenu une correspondance avec un capitaine connu en Allemagne alors que j’étais en Algérie.
Il faut que je te raconte notre première sortie de futur combattant. Elle mérite un récit.
Ce seize février, nous sommes sous les ordres directs d'un sous-lieutenant, un appelé du contingent qui vient de réussir l'examen que nous préparons. Dans le civil, il est instituteur, à priori, un individu qui devrait avoir un comportement acceptable, civil au sens général de ce mot.
Nous avons « crapahuté » toute la journée dans la boue, sur le terrain militaire de Pfotzheim. Ereintés, nous sommes réunis dans une clairière, les pieds et les mains gelés, dans l'attente des camions qui doivent nous reconduire au quartier. Nous discutons à bâtons rompus et notre groupe ressemble un peu à un groupe de voyageurs qui attendrait un train. Cela fait "désordre" ce dont le lieutenant prend soudainement conscience, d'autant qu'il a vu passer, à quelques encablures, l'élégante silhouette du capitaine Sanchis en tenue de combat, spectacle clownesque que je salue d'un sourire intérieur.
- Section! Rassemblement! Hurle le lieutenant...En colonne, couvrez!
Et nous voici alignés comme les oignons de mai dans le jardin de mon grand-père.
- Assez déconné les gars! Quand je crierai "giclez!", vous trouvez un arbre et vous grimpez après. Le dernier à avoir les pieds par terre fera un "rampé" en ornière de char.
Le terrain de Pfortzheim est en fait un espace réservé aux manoeuvres des chars et des ornières profondes quadrillent le sol, plus imposantes encore que celles dont j'ai inauguré le cours lors de ma "tenue de campagne", à cause, sans doute, du passage répété d'engins blindés dans le même sillon. Mon goût pour les reptations n'est pas vraiment avéré et je trouve que j'ai déjà donné dans un passé si récent que je choisi la solution qui consistera à escalader le premier arbre qui me tombera sous les mains. J'assume à posteriori cette peu glorieuse attitude, mon orgueil dut-il en souffrir!
- Giclez! hurle le lieutenant rigolard, entouré de deux sergents-chefs qui ont quelques années d'armée derrière eux mais qui n'ont pas, à l'évidence, inventé la poudre à canon, ce dont je les excuse, d'autres , hélas, s'en sont chargés !
Tous les bidasses giclent aux ordres du lieutenant et se dirigent en un indescriptible désordre vers les grands arbres qui bordent la clairière. Notre lieutenant n'a rien imaginé : Cet exercice, il l'a subi il y a quelques mois ; de victime l’homme s’improvise volontiers bourreau et notre lieutenant puise dans l’exercice de son autorité nouvelle une joie un peu sadique qui a le goût de la revanche. Ainsi se perpétue la sainte tradition militaire. Il sent son autorité confortée aux yeux des sous-officiers de carrière qui l'entourent.
Tout le monde a giclé, sauf notre ami Nicolas. Il en a marre, Nicolas, marre qu'on l'abaisse au rang d'écureuil écervelé, marre qu'on le prenne pour une pomme fût-elle de pin, qu’on le prenne pour un con, pour ce qu'il n'est pas. Il n'a pas esquissé le poindre geste. Il reste planté comme un "I" têtu au milieu de la clairière, son fusil "Garant" à l'épaule. Insupportable défi.
- 2ème CST Sondag, aurais-tu les deux pieds dans la même godasse ?...Quelle chance tu as ! C'est toi qui as gagné le droit de ramper !
Nous sommes tous revenus, et nous formons un cercle autour du lieutenant, de ses sbires et de Nicolas qui n'a pas eu un geste. Les camions sont arrivés entre temps.
- Embarquez et que ça saute! hurle le sergent-chef Grollier.
Et tandis que nous nous précipitons vers les camions bâchés, resté seul, Nicolas subit son supplice. Il a préféré ramper plutôt que de se voir gratifié d'un mois de prison et d'être privé de permission. Notre lâcheté collective étalée l'a sans doute découragé aussi. Il entre dans le camion, couvert de boue et grelottant de froid. Il est solide, Nicolas, il ne sera même pas malade !
Tu vois, Claire, au lendemain de ces faits que je viens de te rapporter, me viennent deux réflexions très pessimistes à propos des comportements de l'homme.
Le lieutenant est un enseignant, un homme auquel on confiera bientôt l'éducation d'enfants ou d'adolescents. Son comportement sera sans doute irréprochable dans la pratique courante de son métier et à la ville. Peut-être sera-t-il un bon enseignant, un bon fils, un bon mari, un bon père de famille et pourtant, on ne m'enlèvera pas de l'esprit qu'il fera, si le retour convenable de l'histoire se produit, un excellent nazillon qui n'hésitera pas à torturer son prochain, pour peu que celui-ci ne soit pas dans son camp, qu'il ait une autre couleur de peau, une religion différente de la sienne, une autre philosophie de la vie, une autre vue de la société ou de la politique.
Ma seconde réflexion est encore bien plus amère, puisque le jugement que je vais porter ne s'applique pas collectivement aux autres ou individuellement à un autre, mais surtout à moi-même. Je pensais être capable de solidarité, je me suis révélé servile et peu soucieux de la collectivité à laquelle j'appartiens à présent, à mon corps défendant. Je me rends bien compte du prix inestimable qu'aurait la solidarité si elle s'appliquait aux sociétés humaines. Car enfin, si nous avions TOUS toisé le lieutenant au milieu de sa clairière, si nous avions TOUS et solidairement imité notre ami Nicolas, qu'auraient pu faire ceux qui nous commandent si mal, d'une manière aussi infamante et infantile ? Je réponds RIEN et je pense à tous ceux et toutes celles, qui ont été jusqu'au sacrifice de leur vie pour que nous soyons un peu plus libres ou un peu plus heureux. Je pense à tous ceux et toutes celles qui ont affronté les courants contraires, ont été cloués au pilori, mis au mur de l'infamie, ont été déshabillés, violés, lapidés, ont subi les pires supplices pour gagner le droit de se regarder en face au miroir de la vie. Je pense aux rebelles du chemin des dames fusillés pour l'exemple, pour rien...Et j'ai envie de chanter la complainte de Léo Ferré intitulée "MERDE A VAUBAN". A quoi bon, ce ne serait qu'une chanson.
Il existe pourtant des hommes qui ont oublié, eux, d'être des moutons
Lolo90 a écrit : ↑03 août 2023, 09:47
Oups Robert
Tu nous l'avais déjà posté l'épisode de Pfotzheim
Ok. Je finis par me perdre. J’ai cherché et je n’ai pas trouvé le lien pour la suite. Bon je vais repartir à en prenant pour base la dernière fois ce que j’ai écrit. 1000 excuses !
….suite ci-dessous
Modifié en dernier par Robert le 03 août 2023, 10:23, modifié 1 fois.
Mon petit chevreau, c'est un prisonnier qui t'écrit. Cela devait bien arriver un jour et je ne tire pas gloire de mon nouvel état de "taulard".
Le taulard est, à l'armée, un individu mis momentanément sur la touche. Il existe différentes catégories de prisonniers: Ceux qui ont enfreint les règles de la vie en société d'une manière générale et qui seraient en prison aussi, s'ils étaient restés dans le civil ; j'appartiens à la seconde catégorie, ceux qui ont contrarié, peu ou prou, l'ordre militaire. Les premiers et avec lesquels je vis pour une semaine, car j'ai été gratifié d'une semaine de prison, sont assez méprisables, voleurs à la petite semaine, ivrognes invétérés, bagarreurs etc... Mon voisin de droite a violé une jeune allemande et j'éprouve pour lui un dégoût complet. Dans la cellule qui se trouve à ma gauche croupit mon ami Daniel qui a commis le même crime que le mien. Je te raconterai ça tout à l'heure.
Le soldat privé de son faible espace de liberté communément désigné sous le vocable de "taulard" se reconnaît de loin. Sa tenue vestimentaire est dépourvue de la moindre élégance car on lui a retiré l'essentiel de son paquetage. Il ne dispose plus que du treillis N°2, celui qu'il convient de porter pour effectuer les tâches d'intérêt collectif dont le major Zacher assure le contrôle pour notre compagnie. Il n'a plus de ceinturon et il bénéficie ipso facto du dernier chic en matière de coupe de cheveux: la "boule à zéro". Compte - tenu de la totale confusion qui règne dans ce monde carcéral, je veux dire que rien ne distingue le puni pour une faute de droit commun du puni pour une faute vénielle, à mes yeux, contre le règlement militaire, le taulard est mal considéré par tout ce qui porte l'uniforme. Lui sont confiées des tâches intéressantes et qu'il entreprend avec enthousiasme. Pour cette journée, nous avons "désherbé" le quartier. La cour de la caserne est pavée. Aux endroits où la cour ne subit pas le passage répété des chaussures, des herbes et mousses osent pousser et offensent ainsi le regard du terrible adjudant Mattéï, d'origine Corse, et chargé par le colonel de l'embellissement du quartier. Aujourd'hui, donc avec de vieux couteaux de cuisine, nous avons éliminé la verdure qui croit dans les interstices des pavés.
Les cellules des prisonniers se trouvent sous le poste de police de l'entrée de la caserne. Elles sont souterraines, sont éclairées par un soupirail qui, à l'extérieur, affleure au sol et donne sur la "Kaiser Allee"; le soupirail est pourvu d'épais barreaux pour éviter au prisonnier de s'échapper à l'air libre. Pour tout mobilier, le taulard dispose d'un lit constitué de planches inclinées, d'une chaise et d'une tablette. Point de lavabo, ni de WC, nous utilisons les installations sanitaires de l'étage auxquelles nous avons accès à heures régulières. Nous ne sommes pas seuls dans nos cellules. Elles sont peuplées d'énormes cafards. Ils sont des occupants prioritaires: Il étaient là avant nous, y demeureront bien après, y trouvent des conditions de température et d'humidité idéals pour que se pérennisent leur peuple noir de rampants. J'en écrase un, de temps à autre, sans conviction. Je les sais plus pugnaces que moi, mais les écrasant, j'affirme l'apparente prédominance de l'homme sur le monde.
Il me faut t'expliquer dans quelles circonstances mon ami Daniel et moi nous nous sommes retrouvés, à notre grande joie, parmi le peuple honni des taulards.
Lundi dernier, comme s'achevaient les épreuves de l'examen de fin de peloton d'élèves officiers (est-il utile que je te précise que je ne serai jamais officier ?), notre cher capitaine Sanchis a organisé pour nous une menue réjouissance.
A la moindre occasion, nos officiers organisent des "pots" où l'on boit et se goinfre à gogo aux frais du contribuable.
Pour le bidasse moyen, la fête est plus formatrice et c'est bien normal. Le capitaine a donc organisé pour nous une marche forcée de nuit : Il s'agit de parcourir vingt kilomètres à pieds, en deux heures ou moins, avec un sac à dos chargé à quinze kilos et un fusil. Le capitaine nous a précisé, mais était-ce bien utile, qu'il ne pouvait comprendre l'échec d'un futur officier à une épreuve aussi élémentaire, et aussi qu'il convenait de courir souvent sans quoi l'arrivée hors délais était assurée.
Dès le départ, Daniel et moi, assurés que nous étions de ne jamais accéder au grade d'officier car non référenciés au barême dit de la "cote d'amour"; par ailleurs nous ne souhaitions absolument pas avoir cet honneur, nous traînions donc en queue de peloton, laissant les futurs officiers s'éreinter sur le chemin.
- Pierrot, tu as vu ce que j'ai vu?
- ...?
- Ne va pas si vite, et observe un peu, que diable me dit Daniel, un peu essoufflé par un départ conforme aux voeux de la hiérarchie, l’aire de notre envol étant éclairée par de puissants projecteurs... Sers-toi un peu de ta tête...Tu n'es pas un rempilé que diable!... Ralentis encore un peu...Tu vois derrière nous, c'est le camion balai... Le chauffeur et le sergent sont dans la cabine... Dans la benne, il n'y a personne et bientôt, il y aura nous!
Nous profitons de l'obscurité revenue et d'un virage pour sauter dans le fossé. Nous laissons passer le camion balai pour le poursuivre. Il roule à l'allure des participants à la marche forcée les plus lents et nous n'avons aucune peine à jeter nos bagages dans la benne, à escalader les ridelles. Et nous voilà, confortablement assis, presque au chaud, délicieusement inactifs.
La fin du voyage est moins calme. Les courageux soldats ont été pointés par le capitaine au fur et à mesure de leur arrivée.. Tout le monde est là, sous les projecteurs, dans la cour. Notre camion est garé à une centaine de mètres. Impossible de franchir cet espace sans être immédiatement repérés.
- On est fait, Daniel.
- Déconne pas Pierrot, Sanchis n'a rien remarqué.
- Mon Capitaine, il manque deux canonniers, constate le caporal Watrin : Barrère et Desarmoises.
- Ca ne m'étonne pas de ces deux glands! Non de Dieu, s'ils ne sont pas là dans dix minutes, vous les portez déserteurs!
Déserteur ! En temps de guerre, le déserteur est passible du poteau d'exécution. Nous ne doutons pas que nous échapperions à cette sanction suprême, mais tout de même, déserteurs...
- Pierrot, me souffle Daniel, je crois qu'il faut y aller!
- Eh! oui, ma vieille, on est fait!
Tu imagines la suite, Claire. Je passe sur les invectives, insultes, vociférations du charcutier d'opérette ; le capitaine Sanchis a failli succomber à une crise cardiaque et je me demande si je me serai jamais remis de la disparition cruelle de ce héros.
Et voilà pourquoi, Daniel et moi sommes incarcérés jusqu'à dimanche prochain. Je ne t'écrirai plus car je n'en ai pas le droit et l'exercice est difficile dans la mesure où la lumière dont je dispose est celle du couloir. Elle ne filtre que très parcimonieusement par la trappe carrée et grillagée de la porte.
Ce séjour en prison fait partie du folklore militaire. Cependant j'ai hâte de sortir de là. Ce n'est pas le cas de tous les taulards. Ainsi, nous venons, par ce séjour inopiné à l'ombre, de faire connaissance avec un personnage hors du commun.
Il s'appelle Gestel. Il est grand, noir, sculptural, et complètement asocial. L'armée, comme il dit, "il n'en a rien à foutre". Dès qu'il sort de prison, Gestel n'a qu'une hâte : Y retourner. Il est doué d'une force physique peu commune, manie le couteau à cran d'arrêt avec dextérité et l'on sent qu'il n'hésiterait pas à s'en servir si le besoin absolu s'en faisait sentir. Il n'a pas eu besoin d'en arriver à cette extrémité pour faire régner l'ordre "Gestel" sur la taule. Elle est devenue son royaume et ne manque pas d'imagination pour s'y assurer des séjours prolongés. Actuellement il s'y trouve pour avoir guillotiné sans jugement toutes les plantes que l'adjudant Mattéï s'était efforcé de mettre en place dans les massifs du quartier Elseneur. Il a perpétré cet assassinat ouvertement, en plein jour, sous les yeux médusés des bidasses et son prestige en est encore grandi !
En prison, Gestel fait ce qu'il veut. Il ne viendrait à aucun gradé l'idée saugrenue de lui donner un ordre. Dans le civil, Gestel est barman à Pigalle. On dit que deux filles "travaillent" pour lui là-bas, sur les trottoirs des quartiers mal famés de la capitale, ce qui explique sa grande aisance financière. Il n'attend pas sa solde, d'autant que les jours de prison n'étant pas comptabilisés, la solde de Gestel est virtuelle!
Gestel choisit sa cellule, toujours la même, incarcération après incarcération. Depuis le temps qu'il la fréquente, il lui a fait subir des "aménagements". Une confortable paillasse de couvertures militaires accumulées au fil de ses séjours consécutifs rendent le lit de planches presque confortable. Les planches de son lit sont amovibles et là-dessous, le martiniquais a une superbe valise qui contient ses costumes, smokings, chemises, cravates, tchaussures noires dernier cri, de quoi déguiser en un instant un taulard misérable en danseur mondain. Le deuxième C.S.T. Gestel, misérable trouffion de jour, pète dans la soie dès la tombée de la nuit.
Là-bas, du côté de Pigalle, des filles travaillent pour lui!
Les barreaux de sa cellule sont décelés et Gestel est de sortie toutes les nuits. Il ne commence à vivre qu'à la tombée du jour. Comme il ne viendrait à personne l'idée de lui imposer une quelconque corvée, Gestel dort toute la journée et ne consent à sortir de sa cellule que pour prendre ses repas ou satisfaire un besoin naturel.
- Gestel, où tu vas toutes les nuits ? l'interroge Daniel.
- Dans les "OFF LIMITS"...répond le noctambule.
Les "off limits", c'est le Pigalle de Karlruhe. Comme ces quartiers leur sont interdits, les soldats américains s’y retrouvent toutes les nuits. La ville de Karlsruhe a subi de si lourds bombardements que des quartiers entiers ne sont encore que ruines et c'est le cas de celui-ci. Bars louches, dancings, tripots de jeu et bordels. Gestel qui maîtrise parfaitement l'anglais, s'est fait de nombreux copains parmi les GI'S, et c'est avec eux qu'il passe ses nuits dans le secteur.
Gestel a expliqué à Daniel le moyen de fréquenter ce coin et ça intéresse fort mon ami. Daniel est fasciné par les bouges. Peut-être irons nous dans les "off limits" après ce séjour forcé à l'hôtel de police. Car nous ne sommes pas organisés comme Gestel et pour les sorties, il nous faudra attendre un peu
Ce que tu me décris me refais penser à l'insalubrité des geôles de Pfortzheim et à la dureté de leur peine comparée à ce qu'ils avaient fait
Pour certains leur séjour ne tenait que suite à une facture salée de réparation de leur véhicule dont ils en étaient responsables.
Pourtant ce véhicule très âgé déjà, si une boite de vitesse ou embrayage rendait l'âme ils en étaient responsables.
Alors une peine de prison devait être signée par le capitaine en parallèle de la signature de la réparation.
Je n'ai jamais été invité à séjourner dans ces cellules mais toutes les trois semaines j'étais planton à l'entrée de la caserne comme chef de poste et on devait s'occuper des "taulards" .
Alors quand j'étais sûr qu'il n'y avait pas de gradés en vue je leur ouvrais leur cellule qu'ils viennent avec nous discuter et boire un café à l'arrière dans la salle de garde, et à la moindre alerte de venue d'officiers ils devaient regagner leur cellule.
Durant la journée je les emmenais un par un dans leur escadron respectif pour qu'ils prennent une douche réparatrice, qu'ils changent de sous-vêtements, qu'ils prennent aussi des victuailles achetées au magasin de la caserne.
Ces rencontres ont été vraiment enrichissantes humainement, surtout avec ceux qui ont passés de nombreux jours pour avoir déserter ou faute grave envers un officier.
Un "taulard" de longue durée a même été incorporé dans notre escadron les deux derniers mois de notre séjour.
Il y avait un lit de libre dans notre chambre et il a été très heureux de venir là et très reconnaissant de ce que j'avais fait pour lui.
Malgré ses tatouages et derrière sa carrure de déménageur, je peux vous dire qu'il y avait beaucoup de gratitude et de respect et il était un gars très attachant.
Quand on est parti, il a pleuré comme un gosse.
Mon expérience de « taulard » a été de trop courte durée pour en avoir une idée complète. La prison de Karlsruhe était à l’évidence insalubre ; quant aux taulards Je ne les ai fréquentés que très peu de temps. Gestel m’a laissé quelques souvenirs car c’était un taulard professionnel !
Il y avait parmi les prisonniers des gens infréquentables.
AU BOUT DE LA NUIT.
C’était une époque où il y avait encore des réverbères, mais plus d’allumeurs....(Essai d’explications - Jacques REDA)
Claire a déplacé tout un paquet de lettres; elles étaient toutes écrites sur un papier jauni et quadrillé.
Elle a pris une série de feuillets d'un autre format. Le papier en est de meilleure qualité.
L'horloge du clocher d'Arroubange sonne dix fois. Il est vingt-deux heures ...
Le changement de papier marque un changement d'époque dans la vie de Pierre. Il est resté plus de huit mois sans la moindre permission à cause de son peu d'empressement à satisfaire l'institution militaire. Il est rentré alors pour quelques jours mais Claire était loin ; ils ne se sont pas rencontrés.
Tu sais, mon petit chevreau bleu, j'ai beaucoup regretté de n'avoir pu te rencontrer pendant les quelques jours de liberté dont j'ai bénéficié du 7 au 15 avril. La vie est mal faite, bien mal faite. Je suis rentré au quartier Elseneur sans même avoir pu te serrer dans mes bras un seul instant. Je relis souvent tes lettres et je regarde le portrait de toi que tu m'as donné le jour de mon départ. Il ne me quitte jamais.
Ma vie militaire s'est beaucoup améliorée. Malgré que nous ayons fortement traîné les pieds, Daniel et moi venons d'être nommés sergents. J'explique cette promotion par la nécessité, pour l'institution militaire, de disposer d'un nombre important de Sous - Officiers. Quand les conflits l'exigent, la quantité seule importe, les critères qualitatifs qui auraient cours en temps de paix sont paradoxalement oubliés et je ne doute pas que Daniel et moi formions un piètre tandem de sous-officiers !
Tu es sans doute très brouillée avec les grades de la hiérarchie militaire et je te dois une explication. Il existe quatre grande divisions dans l’officielle hiérarchie militaire, du bas vers les grades élevés:
- Les hommes de troupe
- Les sous - Officiers
- Les officiers
- Les généraux.
Mon grade de sergent est le premier grade dans la hiérarchie des sous-officiers. Les avantages que nous en retirons sont de disposer d'une chambre individuelle où aucun major Zacher ne vient mettre le nez pour contrôler l'ordonnancement "au carré" du rangement de nos armoires, et de prendre nos repas au mess des Sous - Officier où les repas sont de bien meilleure qualité que ceux qui sont servis au réfectoire des hommes de troupe. En somme, à nos corps défendants, nous sommes devenus des bourgeois de l’armée !
Il existe aussi chez les appelés du contingent une hiérarchie qui, bien qu'elle ne figure dans aucun écrit officiel, n'en est pas moins réelle. Cette hiérarchie est liée à l'ancienneté du soldat:
- Le BLEU (celui qui vient d'être incorporé et qui "fait ses classes" c'est à dire subit son "instruction militaire") a droit à toutes les corvées et vexations. A mesure qu'il prend de la bouteille, le bleu devient un soldat que l'on traite généralement comme un être humain.
- L' AFRICAIN a terminé son instruction. Il est susceptible, d'un jour à l'autre, de passer de l'Europe à l'Afrique du Nord, d'où son appellation. L'africain, par le simple fait qu'il a vocation à partir en guerre prochainement jouit d'une considération très grande des autres appelés, de la hiérarchie militaire aussi. L'africain ne peut être sollicité pour une corvée de pluche ou de chiottes. Tout au plus lui demande-t-on de monter la garde, ce qui, par parenthèse, est très ennuyeux, mais est une tâche noble, car éminemment militaire.
Au sommet de cette hiérarchie fictive du bidasse figure « le QUILLARD » ; ce vocable désigne celui qui sera très prochainement délivré de ses obligations militaires et qui n’a plus aucune tâche à assumer. Le quillard « glande » dans les couloirs, dans les cours, dans les escaliers, au mess ou au foyer du soldat suivant son grade, fumant et buvant, assumant ainsi un apprentissage notoire de parasite avant la définitive libération vers la vie civile.
Daniel est devenu un privilégié du quartier; il a fait connaissance avec le lieutenant Montagnier, un ancien "Gad'zarts" de Châlons-sur-Marne, comme lui. Cette confraternité estudiantine donne au sergent Daniel Barrère des privilèges exorbitants : Daniel gare sa voiture à l'intérieur du quartier, tout près du bâtiments de la deuxième batterie, unité à laquelle nous appartenons à présent. Les sous - Officiers de carrière dont le major Zacher pour ne citer que lui, sont obligés, de laisser leurs voitures à l'extérieur de la caserne. Ce ne serait qu'un détail si cette satanée voiture ne nous permettait, en fait, d'entrer et sortir de nos casernements à peu près quand bon nous semble, en dehors des horaires que nous devons consacrer à l'instruction des "bleus". Nos nuits sont libres et Daniel en profite pour assouvir sa soif de connaissance de la région...et des femmes.
C'est bien là le soucis principal du soldat moyen : les femmes. Je pense qu'une société exclusivement masculine créé dans ce domaine des problèmes qui sont très atténués dans les société où la mixité est la règle. Toujours est-il que Daniel prétend prosaïquement qu'il ne peut se passer de rapports sexuels. Il n'a pas besoin de sentiments, puisqu'il a une femme avec laquelle il est marié et qu'il prétend aimer. Le seul défaut de son épouse légitime est d'être à plusieurs centaines de kilomètres; elle y occupe un emploi d'infirmière qui la retient là-bas, dans son deux pièces de Châlons/s/Marne; par conséquent elle ne peut momentanément assumer la partie charnelle de leur contrat de mariage. Daniel connaît donc des aventures multiples, vénales souvent, et qui, à ses dires, n'altèrent en rien ses sentiments pour Liliane. Je suis sans aucun doute atteint d'un excès de romantisme qui me rend le comportement de Daniel incompréhensible.
La semaine dernière Daniel a tenu le poste de garde au dépôt de munitions. Imagine quatre grands hangars et deux longs silos, à l'intérieur desquels aucun d'entre nous n'est jamais allé , le tout dans un enclos isolé par une double clôture constituée d'un haut grillage.
Ces entrepôts se trouvent en pleine nature, à trois kilomètres de l'habitation la plus proche, en lisière d'une forêt. Ils sont gardés jour et nuit par un groupe de six soldats en armes . Cette garde est relevée toutes les vingt-quatre heures.
- Tu sais, Pierrot, je ne me suis pas ennuyé au poste de garde des obus ! m'a raconté Daniel. Dans la journée, j'ai repéré deux pétasses qui traînaient autour des grillages. Ce n’étaient pas des beautés, mais quand on n'a rien à se mettre sous la...J'ai dit au caporal Wendling qui parle presque l'allemand, tu sais , il est alsacien, de leur demander ce qu'elles voulaient. Et tu sais ce qu'elles voulaient?... Elles voulaient entrer au poste pour monter la garde avec nous, de nuit. J'étais chef de poste. Alors je les ai fait entrer... Elles ont bu avec nous toute la bouteille de schnaps que Wendling avait apportée. Après, je te dis pas, tout ceux qui ont voulu ont pris leur tour. Pas paresseuses, nos grands-mères et gratuites, pour le plaisir...Elles avaient bien quarante piges!
Daniel pense qu'il sera volontaire pour la garde des munitions la semaine prochaine!
Il est comme ça, Daniel, pas très regardant sur la qualité, par très sentimental non plus. Je ne porte pas de jugement sur son comportement et je me borne aux constats. La seconde guerre mondiale a laissé toute une population désemparée de femmes seules, sans métier donc sans revenus, dans un pays en pleine reconstruction, ce qui peut expliquer certains comportements.
Samedi après-midi. Nous avons quartier libre. Daniel a un rendez-vous à Badenweiler. Il a rencontré une femme qui fait une cure dans un établissement de cette petite ville thermale. Il l'a draguée la semaine dernière dans un bar de la ville. Elle est mariée mais ne s'entend pas avec son mari, d'après son séducteur. Elle le remplace, son mari, quand elle en a l'occasion et précisément, dans ce domaine, Daniel est un remplaçant de qualité, j'allais écrire de luxe! Il lui a déjà donné un aperçu de ses possibilités la semaine dernière.
- Tu sais, Pierrot, elle n'était pas entré dans ma voiture qu'elle avait déjà les seins à l'air... et je ne l'avais pas encore touchée! Elle jouit dès que tu la caresses un peu. Tu pourras essayer, si tu veux!
- Tu es trop bon, Daniel, mais tu sais , ça c'est pas mon truc.
- Tu viens quand même avec moi, je n'en aurai pas pour longtemps.
- Si tu veux, vieille branche. Je garderai ta bagnole. On boira une bière au bar du Karlsberg. Après tes exploits, tu auras soif!
Ce qui est formidable avec Daniel, c'est qu'il comprend vite et facilement que tout le monde n'est pas comme lui. Il n'en tire aucune conclusion, ni positive, ni négative. Point n'est besoin de lui répéter le message, ni de lui donner des explications.
Et nous voilà sur la route de Badenweiler. Daniel a une grosse Renault, une "Frégate". Il roule vite, très vite, ignore tous les panneaux, surtout ceux qui imposeraient une vitesse limitée ou lui imposerait un itinéraire qui ne serait pas le plus court. Je n'ose lui avouer que je suis très crispé et que je me cramponne à la poignée de la portière quand il traverse les agglomérations à plus de cent quarante kilomètres à l'heure. Comme je suis heureux quand sa satanée voiture s'arrête!
Si j'avais douté de son pouvoir de séduction, j'ai immédiatement la preuve formelle de l'efficacité de Daniel dans ce domaine si particulier. Ce n'est pourtant pas au "baratin" qu'il drague, mon copain. Il ne parle pas l'allemand, n'en comprend pas un traître mot alors que sa "victime", elle, ne sait rien de la langue de Victor Hugo. La communication doit s'établir dans un autre registre, plus direct et plus animal.
Une jeune femme attend bien Daniel sur le trottoir.
- Tu vois, Pierrot, elle est là... Pas mal, non?... Je te laisse la garde de la bagnole. Je suis là dans une plombe.
Il claque sa portière, fait deux pas sur le trottoir, et la jeune femme lui tombe dans les bras. Sous mes yeux ébahis, ils s'étreignent longuement, sans se soucier du regard sévère des passants, d'autant plus sévères que Daniel est en uniforme de l'armée française, et que les soldats français n'ont pas bonne réputation : ils sont généralement désargentés, se sentent roulés par le change, trouvent que tout est cher en Allemagne ce qui, aux yeux des commerçants, est un vice rédhibitoire!
C'est une petite femme blonde qui attend Daniel; maigrichonne, son visage si pâle est maladif. On la croirait sortie d'un roman d'Emile Zola, atteinte de tuberculose. Elle a une trentaine d'année. Elle porte une robe légère et décolletée et un gilet de fin lainage rose. Je suis incapable de dire si elle est laide ou jolie, je ne l'ai vue qu'un court instant. Déjà ils disparaissent, la main dans la main, au coin de la rue.
Daniel m'a indiqué qu'ils iraient dans la chambre de l'hôtel où sa conquête fait une cure ce qui assurera la gratuité du gîte...
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Daniel réapparaît; il a un peu sous-estimé le temps de ses ébats. Nous sommes arrivés à quatorze heures et il est presque seize heures.
Il ouvre la portière, prend place au volant et pousse un soupir comme s'il venait de réaliser tous les exploits d'Hercule. En fait, il s'est contenté de l'ébauche du plus simple!
- Tu as raté quelque chose, Pierrot...D'autant que c'est fini. Ce soir son mari vient la récupérer... Il y a des jours où je te trouve un peu con !
Daniel et moi prenons un verre au bar du Karlsberg, comme prévu. Il me parle de la sortie de ce soir.
- Ce soir, Pierrot, on visite les "OFF LIMITS". On prendra nos fringues civiles pour ne pas risquer de nous faire emballer par la police militaire. Gestel m'a donné des tuyaux, on ne devrait pas s'emmerder!
Retour à la caserne. Nous passons à présent le poste de police avec facilité. Le planton soulève la barrière du poste, comme il le fait pour livrer passage à la voiture du colonel. Nous mettons nos habits civils dans le coffre et nous nous rendons au mess des sous-officiers pour le souper. A table, nous parlons de notre projet de visite aux "off- limits" chères à Gestel et notre ami Schmitt se propose de nous accompagner. Il y a de la place dans la voiture et la présence de Schmitt a quelque chose de rassurant ; sa carrure inspire le respect. Il nous faudrait, pour compléter notre équipe, un germanophone. Nous pensons au caporal - chef Wendling. Schmitt a sans doute eu des ancêtres alsaciens, mais il est né à Lyon et ne connaît pas un traître mot de la langue de Goethe.
Wendling est dans sa piaule. Il s'ennuie ferme et la perspective d'une sortie qui relève de l'exploration d'un milieu insolite l'émoustille immédiatement. Il est d'accord pour nous accompagner et nous servir d'interprète dans la cas où la nécessité s'en ferait sentir.
Et nous voilà en route, quatre bidasses en goguette, pour une exploration des quartiers chauds de Karlsruhe, avec pour seul plan, les indications orales de Gestel.
Lolo90 a écrit : ↑03 août 2023, 11:58
Ce que tu me décris me refais penser à l'insalubrité des geôles de Pfortzheim et à la dureté de leur peine comparée à ce qu'ils avaient fait
Pour certains leur séjour ne tenait que suite à une facture salée de réparation de leur véhicule dont ils en étaient responsables.
Pourtant ce véhicule très âgé déjà, si une boite de vitesse ou embrayage rendait l'âme ils en étaient responsables.
Alors une peine de prison devait être signée par le capitaine en parallèle de la signature de la réparation.
Je n'ai jamais été invité à séjourner dans ces cellules mais toutes les trois semaines j'étais planton à l'entrée de la caserne comme chef de poste et on devait s'occuper des "taulards" .
Alors quand j'étais sûr qu'il n'y avait pas de gradés en vue je leur ouvrais leur cellule qu'ils viennent avec nous discuter et boire un café à l'arrière dans la salle de garde, et à la moindre alerte de venue d'officiers ils devaient regagner leur cellule.
Durant la journée je les emmenais un par un dans leur escadron respectif pour qu'ils prennent une douche réparatrice, qu'ils changent de sous-vêtements, qu'ils prennent aussi des victuailles achetées au magasin de la caserne.
Déjà, notre Lolo avait un grand cœur… Je précise, aucun mauvais je de mot sur tes soucis de santé, Lolo.
Ces rencontres ont été vraiment enrichissantes humainement, surtout avec ceux qui ont passés de nombreux jours pour avoir déserter ou faute grave envers un officier.
Un "taulard" de longue durée a même été incorporé dans notre escadron les deux derniers mois de notre séjour.
Il y avait un lit de libre dans notre chambre et il a été très heureux de venir là et très reconnaissant de ce que j'avais fait pour lui.
Malgré ses tatouages et derrière sa carrure de déménageur, je peux vous dire qu'il y avait beaucoup de gratitude et de respect et il était un gars très attachant.
Quand on est parti, il a pleuré comme un gosse.