La chute (suite)
- Robert
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La chute (suite)
NOUS N'IRONS PLUS AU BOIS
Chronique douce - amère des années tendres
PROLOGUE:
Un peu d’histoire.
Les hommes et les femmes de cette génération, tous ceux qui ont vécu leur jeunesse autour de l'année 1960 ont connu ce qu'il était convenu d'appeler pudiquement à l'époque "les évènements d'Algérie". Guerre qui ne voulut pas toujours dire son nom, elle fit couler son contingent de sang et de larmes.
Un regard superficiel pourrait analyser cette période comme étant celle des dernières convulsions du "colonialisme", comme a théoriquement disparu l'esclavage en 1848... Et l'on ne m'empêchera pas de penser qu'à l'aube du vingt et unième siècle, ni l'esclavage, ni le colonialisme n'ont encore totalement disparu ; leurs formes ont changé, certes, mais ils existent encore.
L'Algérie était une Colonie française, un territoire conquis par la France en 1830, peuplée de berbères, d'envahisseurs arabes et de colonisateurs européens mêlés. Le Maghreb comme comme toutes les zones habitables de notre planète, a été l'objet d'invasions successives de peuples qui s'y sont installés au fil du temps. Les "pieds-noirs" établis en Algérie en 1960, cent trente ans après que Bugeaud ait établi la domination française sur ces territoires, n'avaient pas le sentiment d'être des colonisateurs, mais simplement, les habitants d'une région française. On leur avait d'ailleurs fait miroiter en 1958, après le coup d'état du 13 mai qui allait porter aux affaires le Général De Gaulle et ses partisans et vouer aux oubliettes de l'histoire la quatrième République pour instituer la "Cinquième", qu'ils étaient dans le giron français et, qu'en aucun cas la mère patrie ne les abandonnerait...Ce qu'elle devait s'empresser de faire quelques années plus tard sous la pression conjuguée des évènements et des impératifs politiques du moment.
"La valise ou le cercueil"...résume le choix laissé à nos compatriotes d'Algérie en 1962, après les accords d'Evian. Français chrétiens, juifs ou musulmans, leur tort avait été de naître là-bas, d'avoir cru dans la parole donné par le chef de l'état français au moment de sa prise du pouvoir politique en 1958, et sans doute de n'avoir pas senti la nécessité du partage du sol, du pouvoir politique, administratif et économique aussi, avec tous les peuples installés sur le sol d'Algérie.
Brutal a été le réveil et profonds les déchirements que ces évènements ont générés. Cette période a été, comme bien d'autres, l'image d'un gâchis : Si la fraternité des peuples d'Algérie, berbères, européens de toutes origines et arabes, avait pu être instaurée, comme on a cru, parfois, en saisir la réalité, le cours de l'histoire en eut été bouleversé ; sans doute l'Algérie d'aujourd'hui présenterait-elle une image plus humaine, plus fraternelle. Mais après tant d'années de vie cloisonnée, les peuples qui vivaient sur le sol algérien n'ont su que se découvrir un instant pour s'entre-déchirer.
Les pages qui suivent ne se veulent qu'un simple témoignage, témoignage d'un homme appelé Pierre Desarmoise, dont la jeunesse traverse une époque troublée, "UN PARMI TANT D'AUTRES"... pour faire référence au superbe livre de Christophe MALAVOY qui évoque avec tant d'émotion la vie d'un homme jeune dans ce terrible cataclysme qu'a été la guerre de 1914 à 1918.
Ces pages se veulent aussi un hommage au peuple algérien que j'ai connu pendant ces années difficiles. Sans doute cette population n'existe-t-elle plus, l'Algérie des année 60 est morte, définitivement emportée par un tourbillon de l'histoire. Cependant, cette expérience m'a vacciné à tout jamais contre les tentations racistes qu'un tel conflit sous tend et exacerbe chez certains. Bien au contraire, j'ai pu, au quotidien, mesurer les vertus des algériens. Ils étaient éleveurs nomades des hauts plateaux ou agriculteurs sédentaires des zones irriguées, soldats, frères d'arme harkis jetés dans la mêlée ou ennemis insaisissables dont la cause ne peut me paraître injuste, fellaghas fantomatiques, silhouettes furtives d'hommes du bled en treillis ou djellaba. Ils étaient aussi les colons parfois tant décriés par les appelés du contingent ou les pieds-noirs anonymes auxquels on a voulu, à tort, faire porter la responsabilité des "évènements". Ces gens auraient-ils pu continuer à vivre ensemble et Pierre garder encore un temps ses illusions de jeunesse?
Pierre Désarmoise, vingt deux ans, commence ce récit. il entretient une correspondance suivie avec Claire, son amie, qu’il pense épouser à l’issue de son service militaire.
Sa vie, elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu’on avait habillé pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu’on retrouve au soir, désarmés, incertains
Dites ses mots ma mie et retenez vos larmes
Il n’y a pas d’amour heureux.
Louis ARAGON
Chronique douce - amère des années tendres
PROLOGUE:
Un peu d’histoire.
Les hommes et les femmes de cette génération, tous ceux qui ont vécu leur jeunesse autour de l'année 1960 ont connu ce qu'il était convenu d'appeler pudiquement à l'époque "les évènements d'Algérie". Guerre qui ne voulut pas toujours dire son nom, elle fit couler son contingent de sang et de larmes.
Un regard superficiel pourrait analyser cette période comme étant celle des dernières convulsions du "colonialisme", comme a théoriquement disparu l'esclavage en 1848... Et l'on ne m'empêchera pas de penser qu'à l'aube du vingt et unième siècle, ni l'esclavage, ni le colonialisme n'ont encore totalement disparu ; leurs formes ont changé, certes, mais ils existent encore.
L'Algérie était une Colonie française, un territoire conquis par la France en 1830, peuplée de berbères, d'envahisseurs arabes et de colonisateurs européens mêlés. Le Maghreb comme comme toutes les zones habitables de notre planète, a été l'objet d'invasions successives de peuples qui s'y sont installés au fil du temps. Les "pieds-noirs" établis en Algérie en 1960, cent trente ans après que Bugeaud ait établi la domination française sur ces territoires, n'avaient pas le sentiment d'être des colonisateurs, mais simplement, les habitants d'une région française. On leur avait d'ailleurs fait miroiter en 1958, après le coup d'état du 13 mai qui allait porter aux affaires le Général De Gaulle et ses partisans et vouer aux oubliettes de l'histoire la quatrième République pour instituer la "Cinquième", qu'ils étaient dans le giron français et, qu'en aucun cas la mère patrie ne les abandonnerait...Ce qu'elle devait s'empresser de faire quelques années plus tard sous la pression conjuguée des évènements et des impératifs politiques du moment.
"La valise ou le cercueil"...résume le choix laissé à nos compatriotes d'Algérie en 1962, après les accords d'Evian. Français chrétiens, juifs ou musulmans, leur tort avait été de naître là-bas, d'avoir cru dans la parole donné par le chef de l'état français au moment de sa prise du pouvoir politique en 1958, et sans doute de n'avoir pas senti la nécessité du partage du sol, du pouvoir politique, administratif et économique aussi, avec tous les peuples installés sur le sol d'Algérie.
Brutal a été le réveil et profonds les déchirements que ces évènements ont générés. Cette période a été, comme bien d'autres, l'image d'un gâchis : Si la fraternité des peuples d'Algérie, berbères, européens de toutes origines et arabes, avait pu être instaurée, comme on a cru, parfois, en saisir la réalité, le cours de l'histoire en eut été bouleversé ; sans doute l'Algérie d'aujourd'hui présenterait-elle une image plus humaine, plus fraternelle. Mais après tant d'années de vie cloisonnée, les peuples qui vivaient sur le sol algérien n'ont su que se découvrir un instant pour s'entre-déchirer.
Les pages qui suivent ne se veulent qu'un simple témoignage, témoignage d'un homme appelé Pierre Desarmoise, dont la jeunesse traverse une époque troublée, "UN PARMI TANT D'AUTRES"... pour faire référence au superbe livre de Christophe MALAVOY qui évoque avec tant d'émotion la vie d'un homme jeune dans ce terrible cataclysme qu'a été la guerre de 1914 à 1918.
Ces pages se veulent aussi un hommage au peuple algérien que j'ai connu pendant ces années difficiles. Sans doute cette population n'existe-t-elle plus, l'Algérie des année 60 est morte, définitivement emportée par un tourbillon de l'histoire. Cependant, cette expérience m'a vacciné à tout jamais contre les tentations racistes qu'un tel conflit sous tend et exacerbe chez certains. Bien au contraire, j'ai pu, au quotidien, mesurer les vertus des algériens. Ils étaient éleveurs nomades des hauts plateaux ou agriculteurs sédentaires des zones irriguées, soldats, frères d'arme harkis jetés dans la mêlée ou ennemis insaisissables dont la cause ne peut me paraître injuste, fellaghas fantomatiques, silhouettes furtives d'hommes du bled en treillis ou djellaba. Ils étaient aussi les colons parfois tant décriés par les appelés du contingent ou les pieds-noirs anonymes auxquels on a voulu, à tort, faire porter la responsabilité des "évènements". Ces gens auraient-ils pu continuer à vivre ensemble et Pierre garder encore un temps ses illusions de jeunesse?
Pierre Désarmoise, vingt deux ans, commence ce récit. il entretient une correspondance suivie avec Claire, son amie, qu’il pense épouser à l’issue de son service militaire.
Sa vie, elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu’on avait habillé pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu’on retrouve au soir, désarmés, incertains
Dites ses mots ma mie et retenez vos larmes
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Louis ARAGON
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Re: La chute (suite)
encore un trés beau texte ,on a l 'impression d 'être des privilégiés de pouvoir profiter de ta prose 

- Denis
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Re: La chute (suite)
Un bout d’histoire pas très connu pour moi… Pourtant mon grand père paternel y est allé… et en parlait peu, dégouté de voir ce que l’homme est capable de faire… Très bien écrit, Robert, comme d’hab!
- Robert
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Re: La chute (suite)
Chapitre I
SOIR D'AUTOMNE
Arroubange, le 27 octobre 1960.
La date calligraphiée par Claire n’a pas été effacée par l’élève de service, trop petit sans doute pour atteindre le haut du tableau noir. La salle de classe qui occupe le rez-de-chaussée de la vieille maison communale est éteinte, silencieuse, vide. La chaleur résiduelle dispensée par le fourneau demeure encore présente, comme l'humidité ambiante qui a déposé son voile ténu aux carreaux des fenêtres.
Arroubange est le premier poste de Claire. Elle est à présent seule, maîtresse à bord, car sa classe est une classe dite unique. Elle ne connaît pas encore ses collègues qui exercent dans les villages voisins; elle n'aura d'ailleurs que très peu d'occasion de les rencontrer.
Arroubange est un village lorrain, tout en longueur dont les maisons s’étirent de part et d’autre de l'ancienne route départementale. Fumiers et rondins de bois sagement empilés occupent « l’usoir» et laisse un large espace libre entre les maisons et le bord de la route. L'agglomération n'a subi aucun dommage, éloignée qu'elle était des champs de bataille des guerres de 70, 14-18 ou 39-45. Si ce n'était le traditionnel monument aux morts qui porte dans la pierre les noms des enfants de la terre d'Arroubange "morts pour la France" on pourrait ignorer ces tragiques aléas de l'histoire de notre pays. L'habitat n'a guère changé. Il est resté celui qui s'est imposé à la ruralité lorraine du dix-neuvième siècle. La terre n'a pas enrichi ceux qui la travaille et les habitants du village ont investi leurs modestes ressources dans les outils aratoires, charrues, tracteurs, stabulations, moissonneuses, indispensables à la survie de leurs activités d'agriculteurs - éleveurs, plutôt que changer pour plus de confort la cellule d'habitation de la ferme héritée des parents. D'ailleurs les jeunes couples ne sont pas légions et les effectifs de l'école s'en ressentent. Il faudra sans doute bientôt envisager des solutions radicales tel le regroupement scolaire pour éviter la fermeture définitive de ce petit centre de vie qu'est une école et dont l'absence constitue la mort programmée d'un village. Une longue rue bordée de deux rangées de maisons accolées de part et d'autre de son parcours presque rectiligne, tel est construit Arroubange. Seuls, deux édifices dérogent à cet ordonnancement et qui, se faisant face au centre du village, en rompent les alignements : l'église et l'école. Normalement entretenus par la commune, leur aspect affirme la pauvreté de la collectivité. L'un et l'autre de ces bâtiments justifieraient d'un profond ravalement.
Arroubange est un village gris, calme pour ne pas dire moribond. L'automne pluvieux et venteux de cette année en souligne la monotonie.
Claire franchit la porte ouverte de sa chambre.
L'obscurité y est totale. Elle cherche à tâtons l'interrupteur dont elle bascule le bouton bruyant. Une lumière crue inonde instantanément le désordre de la pièce.
Un monticule de linge propre, froissé, et qui sent la lavande recouvre la couette blanche de sa couche de bois fruitier, posée dans un coin de la pièce. Près d'une fenêtre qui donne sur la cour de l'école, la longue table de ferme qui lui sert de bureau disparaît sous des empilements de journaux, de livres plus ou moins épais, de loupes, gommes, crayons de toutes les couleurs, de ciseaux et médailles, règles et lunettes...La pièce est gaie, claire avec ses deux ouvertures. Les matins ensoleillés, lorsque les volets sont fermés, un papillon de lumière décrit au plafond d'abord, puis sur le mur, un parcours que Claire suit d'étape en étape, lorsque son sommeil s'allège et que s'avance la matinée que la jeune femme a décidé de passer dans les bras de Morphée.
Elle vient à présent de s'installer sur l'unique chaise paillée de sa chambre devant sa table de travail. Elle a ouvert le cahier auquel elle confie périodiquement les menus événements de sa vie, ses émois aussi. Il est une suite logique à son "cahiers de poésies". Ce précieux album à la couverture usée garde à jamais ce que ses amies, ses maîtresses d'école, sa maman aussi, ont écrit pour Claire quand elle était encore une petite fille.
-Claire, lui avait dit un jour sa mère venue lui rendre une visite impromptue, tu te complais dans ton désordre!
Claire aime SON désordre. Il donne à l'unique pièce qu'elle occupe dans le logement de fonction mis à sa disposition par la commune d'Arroubange une chaleur et une intimité qu'un rangement froid romprait. Elle sent ces choses là d'instinct.
Les murs de la chambre sont cruellement blancs , lisses, immaculés. L'occupante a l'intention de personnaliser le décor de son espace de vie mais elle n'a pas encore trouvé le temps de le faire tant les tâches quotidiennes dévorent ses heures.
Cependant, là où la ligne montante du coin de la chambre touche au plafond et où passent, coudées à angle droit les gaines des conducteurs électriques, la lumière de la lampe halogène de son bureau projette au mur une ombre mystérieuse et insolite, indéfinie et incongrue, intrigante car inconnue.
Le fourneau ronfle, rassurante présence vocale du feu.
Claire écrit .
Elle vient d'achever quatre années d'études à l'école normale de Metz. Cet établissement forme les enseignantes chargées des école maternelles et élémentaires du département de la Moselle. Il y règne une ambiance délétère savamment entretenues par sa directrice et ses proches collaboratrices, convaincues que la mission d'une enseignante relève d'un apostolat incompatible avec une vie de jeune femme ordinaire. Point de sortie, une vie monacale imposée au forceps, chasteté et vertu de façade, morale des apparences. La directrice promène par les longs couloirs sombres de ce séminaire féminin une silhouette noire de veuve éternelle, une mine patibulaire qu'aucun sourire jamais n'illumine. Il semblait que ce visage ridé de vieille pomme eût jamais pu un jour être jeune et lisse.
Claire laisse courir sur un feuillet de papier d'écolier la plume du stylo que son ami Pierre lui a offert à l'occasion de son anniversaire
SOIR D'AUTOMNE
Arroubange, le 27 octobre 1960.
La date calligraphiée par Claire n’a pas été effacée par l’élève de service, trop petit sans doute pour atteindre le haut du tableau noir. La salle de classe qui occupe le rez-de-chaussée de la vieille maison communale est éteinte, silencieuse, vide. La chaleur résiduelle dispensée par le fourneau demeure encore présente, comme l'humidité ambiante qui a déposé son voile ténu aux carreaux des fenêtres.
Arroubange est le premier poste de Claire. Elle est à présent seule, maîtresse à bord, car sa classe est une classe dite unique. Elle ne connaît pas encore ses collègues qui exercent dans les villages voisins; elle n'aura d'ailleurs que très peu d'occasion de les rencontrer.
Arroubange est un village lorrain, tout en longueur dont les maisons s’étirent de part et d’autre de l'ancienne route départementale. Fumiers et rondins de bois sagement empilés occupent « l’usoir» et laisse un large espace libre entre les maisons et le bord de la route. L'agglomération n'a subi aucun dommage, éloignée qu'elle était des champs de bataille des guerres de 70, 14-18 ou 39-45. Si ce n'était le traditionnel monument aux morts qui porte dans la pierre les noms des enfants de la terre d'Arroubange "morts pour la France" on pourrait ignorer ces tragiques aléas de l'histoire de notre pays. L'habitat n'a guère changé. Il est resté celui qui s'est imposé à la ruralité lorraine du dix-neuvième siècle. La terre n'a pas enrichi ceux qui la travaille et les habitants du village ont investi leurs modestes ressources dans les outils aratoires, charrues, tracteurs, stabulations, moissonneuses, indispensables à la survie de leurs activités d'agriculteurs - éleveurs, plutôt que changer pour plus de confort la cellule d'habitation de la ferme héritée des parents. D'ailleurs les jeunes couples ne sont pas légions et les effectifs de l'école s'en ressentent. Il faudra sans doute bientôt envisager des solutions radicales tel le regroupement scolaire pour éviter la fermeture définitive de ce petit centre de vie qu'est une école et dont l'absence constitue la mort programmée d'un village. Une longue rue bordée de deux rangées de maisons accolées de part et d'autre de son parcours presque rectiligne, tel est construit Arroubange. Seuls, deux édifices dérogent à cet ordonnancement et qui, se faisant face au centre du village, en rompent les alignements : l'église et l'école. Normalement entretenus par la commune, leur aspect affirme la pauvreté de la collectivité. L'un et l'autre de ces bâtiments justifieraient d'un profond ravalement.
Arroubange est un village gris, calme pour ne pas dire moribond. L'automne pluvieux et venteux de cette année en souligne la monotonie.
Claire franchit la porte ouverte de sa chambre.
L'obscurité y est totale. Elle cherche à tâtons l'interrupteur dont elle bascule le bouton bruyant. Une lumière crue inonde instantanément le désordre de la pièce.
Un monticule de linge propre, froissé, et qui sent la lavande recouvre la couette blanche de sa couche de bois fruitier, posée dans un coin de la pièce. Près d'une fenêtre qui donne sur la cour de l'école, la longue table de ferme qui lui sert de bureau disparaît sous des empilements de journaux, de livres plus ou moins épais, de loupes, gommes, crayons de toutes les couleurs, de ciseaux et médailles, règles et lunettes...La pièce est gaie, claire avec ses deux ouvertures. Les matins ensoleillés, lorsque les volets sont fermés, un papillon de lumière décrit au plafond d'abord, puis sur le mur, un parcours que Claire suit d'étape en étape, lorsque son sommeil s'allège et que s'avance la matinée que la jeune femme a décidé de passer dans les bras de Morphée.
Elle vient à présent de s'installer sur l'unique chaise paillée de sa chambre devant sa table de travail. Elle a ouvert le cahier auquel elle confie périodiquement les menus événements de sa vie, ses émois aussi. Il est une suite logique à son "cahiers de poésies". Ce précieux album à la couverture usée garde à jamais ce que ses amies, ses maîtresses d'école, sa maman aussi, ont écrit pour Claire quand elle était encore une petite fille.
-Claire, lui avait dit un jour sa mère venue lui rendre une visite impromptue, tu te complais dans ton désordre!
Claire aime SON désordre. Il donne à l'unique pièce qu'elle occupe dans le logement de fonction mis à sa disposition par la commune d'Arroubange une chaleur et une intimité qu'un rangement froid romprait. Elle sent ces choses là d'instinct.
Les murs de la chambre sont cruellement blancs , lisses, immaculés. L'occupante a l'intention de personnaliser le décor de son espace de vie mais elle n'a pas encore trouvé le temps de le faire tant les tâches quotidiennes dévorent ses heures.
Cependant, là où la ligne montante du coin de la chambre touche au plafond et où passent, coudées à angle droit les gaines des conducteurs électriques, la lumière de la lampe halogène de son bureau projette au mur une ombre mystérieuse et insolite, indéfinie et incongrue, intrigante car inconnue.
Le fourneau ronfle, rassurante présence vocale du feu.
Claire écrit .
Elle vient d'achever quatre années d'études à l'école normale de Metz. Cet établissement forme les enseignantes chargées des école maternelles et élémentaires du département de la Moselle. Il y règne une ambiance délétère savamment entretenues par sa directrice et ses proches collaboratrices, convaincues que la mission d'une enseignante relève d'un apostolat incompatible avec une vie de jeune femme ordinaire. Point de sortie, une vie monacale imposée au forceps, chasteté et vertu de façade, morale des apparences. La directrice promène par les longs couloirs sombres de ce séminaire féminin une silhouette noire de veuve éternelle, une mine patibulaire qu'aucun sourire jamais n'illumine. Il semblait que ce visage ridé de vieille pomme eût jamais pu un jour être jeune et lisse.
Claire laisse courir sur un feuillet de papier d'écolier la plume du stylo que son ami Pierre lui a offert à l'occasion de son anniversaire
- Lolo90
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Re: La chute (suite)
Oh Robert c’est très beau !!
- Robert
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Re: La chute (suite)
Arroubange, le 27 octobre 1960. Seule. Je me sens seule et abandonnée dans ce village. Tout m'y est hostile. La salle de classe est bien sombre et le salpêtre tapisse le bas de ses murs où le bleu pâle ancien de la peinture passée abandonne peu à peu l'espace qui lui a été initialement confié. Ça sent la craie, l'huile noirâtre dont le parquet disjoint est imbibé; l'odeur de moisi qui monte des sous-sols humides me soulève le coeur.
Les colchiques ont défleuri aux prés jaunis. Tombées, les pommes dorées du pommier au verger voisin; personne ne les ramassera plus. J'ai appris que le vieux propriétaire de ces arbres est mort au milieu du bel l'été.
J'ai trente quatre élèves, des petits de cinq ans aux quatre gaillards et cinq demoiselles de quatorze ans qui règnent sur le fond de la salle de classe, cet endroit où la lumière du jour est aussi faible que celle que voudraient dispenser trois ampoules électriques auréolées de vieux abat-jour de verre placés hors de la portée de la femme de ménage, que poussières et chiures de mouches ont définitivement endeuillés.
Hervé Colas est plus grand que moi. Il a décidé une bonne fois, le jour de son treizième anniversaire, que son avenir n'était pas à l'école. S'il porte peu d'intérêt à mon enseignement, il s'intéresse par contre beaucoup à sa voisine, Béatrice Jeandeau dont les seins se sont développés, semble-t-il, au détriment de son esprit et qui attend, comme son compère, avec une impatience certaine, que l'année scolaire la rende définitivement à la terre, aux bois et aux champs d'Arroubange. S'imaginant comme tous les amoureux, qu'ils sont seuls au monde, ils s'embrassent dans les couloirs, derrière les marronniers de la cour, dans la vieille salle qui sert de secrétariat de mairie où ils s'éclipsent de temps à autre, pensant que je suis aveugle. Le certif, à quoi bon! Je me demande parfois si je n'envie pas leur juvénile insouciance.
Je m'essouffle et je m'étiole ici. Je suis assise à ce bureau. Je tarde à entreprendre la rédaction de ma préparation de classe pour demain.
Je pense à Pierre aussi. Quand aurai-je le courage de lui dire la vérité?
Claire lève la tête puis elle laisse tomber sa joue au creux de sa main gauche, coude appuyé sur la table de chêne. Elle rêve à présent...Une larme hésite un instant au coin de ses yeux et roule soudain sur sa joue satinée laissant sur son passage un chemin de lumière.
Sempiternel monte la chanson du feu, prisonnier du foyer de fonte où palpite une vie discrète. Claire se déplace près de ce coeur de son logis. Elle promène ses mains au dessus de la plaque surchauffée du fourneau. Elle sent l'air chaud qui lui caresse le visage s'imiscer sous ses vêtements jusque sur sa peau, caresse voluptueuse. Dans sa détresse intérieure profonde, une sensation douce de bien-être superficiel et fugace l'envahit.
Le clocher de l'église martèle ses neuf coups; sous les paupières closes de la jeune femme défilent les événements de sa journée si banale et une seconde larme suit le chemin tracé par la première car Claire n'a pas bougé.
...................................................................................................
Elle s'est levée à l'aube. Le soleil pâle était apparu bientôt sur la ligne du proche horizon barrée de peupliers élancés où nichent les freux. Leurs abris de branches mortes entrelacées se sont révélés récemment au fur et à mesure que le fragile feuillage des arbres s'est abandonné aux vents d'automne. Au-delà du mur de pierres sèches qui délimitent le jardin de l'école, les toits en enfilades du village lui étaient apparus pour la première fois blancs du givre déposé par les brumes de la nuit. Le soleil rouge et rond avait allumé bientôt ses incendies dans les grands hêtres du bois du "père Antoine". Claire y a herborisé récemment avec ses élèves, elle leur a appris à reconnaître l'épine noire et l'aubépine, le sureau et le sorbier, les fines lianes des volubilis et celles du houblon sauvage, les cornouillers aussi dont le fruit rappelle à l'automne la rouge cerise du printemps, toute cette végétation si riche de l'orée des bois qui tente de voler aux grands arbres un peu de la lumière que hêtres et chênes ne laissent passer qu'à regret et voler à la prairie son espace ouvert.
Ses élèves ignoraient pourquoi la forêt d'Arroubange porte le nom de "bois du père Antoine". Elle avait posé la question au Maire du village, un vieux paysan originaire de la localité et dont le patronyme figure déjà dans les registres paroissiaux de 1645. Monsieur Georges André n'avait pas été formel, modeste devant les appellations mystérieuses portées par les générations et dont l'origine ne saurait qu'être incertaine." Le fameux ermite Antoine aurait vécu dans ces bois vers l'an mille", lui avait-il expliqué. "Les forêts couvraient alors toute la région et ce sont les moines qui ont défriché ce coin de terre; peu à peu s'est construit Arroubange sur l'éperon rocheux qui domine le vallon de Trilbois".
Claire a gardé pour elle ces explications vagues, ayant conservé de ses études à l'école normale la volonté de ne faire entrer dans ses leçons qu'éléments dont elle-même serait convaincue. Ainsi s'est elle refusée à enseigner la religion, domaine où se dissimulent tant d’ incertitudes; elle a lâchement abandonné cet enseignement à Monsieur le Curé qui s'en ai saisi contre une rétribution bienvenue pour adoucir la rigueur de sa vie austère d'ecclésiastique. Claire enseigne pourtant l'histoire, alimente les imaginations enfantines des exploits de héros. Il est bien délicat de faire la part qui revient à la légende, dans le récit de leurs faits et gestes. Elle évoque bien la mémoire Roland traitreusement attaqué par les maures à Roncevaux, celle du Grand Ferré pourfendant l'anglais au temps de la lointaine guerre de cent ans. Et que serait cette guerre sans l'évocation de Jeanne, bergère aux champs avant d'être guerrière, victorieuse à Orléans?
Comme à son habitude, elle avait pris ce matin-là un petit déjeuner copieux, de pain beurré, de miel, de fruits et de céréales afin tenir jusqu'à midi. Elle occupe le logement de fonction à l'étage, juste au-dessus de l'unique salle de classe d'Arroubange. Il faisait encore très d'ombre. Elle avait sursauté à la plainte familière des escaliers de bois noir qui mènent à la porte de sa salle de classe. Elle en avait dévalé les marches dans l'obscurité et seule, le pommeau de fonte qui marque la fin de la rampe lui avait indiqué qu'elle trouverait, à tâtons sous sa main gauche, la clenche de la porte de la salle de classe.
Soudain Claire porte les yeux sur son stylo et s'effacent sans délai les images de la vieille école d'Arroubange.
Elle n'est plus seule. Ses longs doigts blancs se sont glissés dans ceux de Pierre. Les rosiers défleurissent aux jardins de la ville écrasée de soleil.
Ils marchent ainsi, la main dans la main sur le chemin de terre qui court en serpentant sur les berges de la rivière. Trembles et saules frissonnent à la brise douce de cet après-midi d'août finissant.
Pierre a pris dans ses mains le visage de Claire. Ils se sont posés, front à front, immobiles et silencieux.
Déjà regrette-t-elle sans doute le temps de l'aube de leur amour.
Ils ne savaient pas encore. Bientôt ils sauraient ce que séparation veut dire. Ils ne s'étaient dits qu'au revoir pourtant...
Pierre n'était plus revenu, dévoré par l'institution militaire, mis au secret, par elle, là-bas, en Allemagne, pour une préparation aux tâches guerrière qui l'attendaient en Algérie. Et peu à peu, Claire s'était usé l'âme à la corrosive émeri de l'absence, du quotidien; elle ressent confusément le besoin d'une présence, il lui faut des points d'appuis fermes. Peu à peu, tandis que que Pierre n'a d'autre ressources qu'elle, l'attendre et l'espérer, Claire est confrontée aux difficultés petites et grandes qui l'assaillent et Pierre n'est pas là pour la soutenir. Elle est lasse. Il n'est plus que virtuel à présent, un mythe, inefficace et presque inutile.
Claire n'avait pas encore commencé son travail. Il en était toujours ainsi, lorsqu'elle posait à côté d'elle la boîte métallique aux souvenirs. Elle prenait une lettre, en relisait un passage, rêvait un instant, reprenait un autre feuillet non sans avoir rangé soigneusement le précédent. Ainsi, elle avait pris la dernière lettre de la boîte.
Les lettres de Pierre, elle les avait toutes conservées; elles occuperaient sa mémoire.
- Quand tu ne m'aimeras plus, Claire, tu me rendras mes lettres, avait dit Pierre un jour de doute.
- Non, Pierre, tu me les a écrites, elles m'appartiennent à présent...Et de toutes façons, je ne cesserai jamais de t'aimer.
Elle ne savait pas encore que ces traces indélébiles n'auraient bientôt d'autres vertu que d'alimenter ses remords
Les colchiques ont défleuri aux prés jaunis. Tombées, les pommes dorées du pommier au verger voisin; personne ne les ramassera plus. J'ai appris que le vieux propriétaire de ces arbres est mort au milieu du bel l'été.
J'ai trente quatre élèves, des petits de cinq ans aux quatre gaillards et cinq demoiselles de quatorze ans qui règnent sur le fond de la salle de classe, cet endroit où la lumière du jour est aussi faible que celle que voudraient dispenser trois ampoules électriques auréolées de vieux abat-jour de verre placés hors de la portée de la femme de ménage, que poussières et chiures de mouches ont définitivement endeuillés.
Hervé Colas est plus grand que moi. Il a décidé une bonne fois, le jour de son treizième anniversaire, que son avenir n'était pas à l'école. S'il porte peu d'intérêt à mon enseignement, il s'intéresse par contre beaucoup à sa voisine, Béatrice Jeandeau dont les seins se sont développés, semble-t-il, au détriment de son esprit et qui attend, comme son compère, avec une impatience certaine, que l'année scolaire la rende définitivement à la terre, aux bois et aux champs d'Arroubange. S'imaginant comme tous les amoureux, qu'ils sont seuls au monde, ils s'embrassent dans les couloirs, derrière les marronniers de la cour, dans la vieille salle qui sert de secrétariat de mairie où ils s'éclipsent de temps à autre, pensant que je suis aveugle. Le certif, à quoi bon! Je me demande parfois si je n'envie pas leur juvénile insouciance.
Je m'essouffle et je m'étiole ici. Je suis assise à ce bureau. Je tarde à entreprendre la rédaction de ma préparation de classe pour demain.
Je pense à Pierre aussi. Quand aurai-je le courage de lui dire la vérité?
Claire lève la tête puis elle laisse tomber sa joue au creux de sa main gauche, coude appuyé sur la table de chêne. Elle rêve à présent...Une larme hésite un instant au coin de ses yeux et roule soudain sur sa joue satinée laissant sur son passage un chemin de lumière.
Sempiternel monte la chanson du feu, prisonnier du foyer de fonte où palpite une vie discrète. Claire se déplace près de ce coeur de son logis. Elle promène ses mains au dessus de la plaque surchauffée du fourneau. Elle sent l'air chaud qui lui caresse le visage s'imiscer sous ses vêtements jusque sur sa peau, caresse voluptueuse. Dans sa détresse intérieure profonde, une sensation douce de bien-être superficiel et fugace l'envahit.
Le clocher de l'église martèle ses neuf coups; sous les paupières closes de la jeune femme défilent les événements de sa journée si banale et une seconde larme suit le chemin tracé par la première car Claire n'a pas bougé.
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Elle s'est levée à l'aube. Le soleil pâle était apparu bientôt sur la ligne du proche horizon barrée de peupliers élancés où nichent les freux. Leurs abris de branches mortes entrelacées se sont révélés récemment au fur et à mesure que le fragile feuillage des arbres s'est abandonné aux vents d'automne. Au-delà du mur de pierres sèches qui délimitent le jardin de l'école, les toits en enfilades du village lui étaient apparus pour la première fois blancs du givre déposé par les brumes de la nuit. Le soleil rouge et rond avait allumé bientôt ses incendies dans les grands hêtres du bois du "père Antoine". Claire y a herborisé récemment avec ses élèves, elle leur a appris à reconnaître l'épine noire et l'aubépine, le sureau et le sorbier, les fines lianes des volubilis et celles du houblon sauvage, les cornouillers aussi dont le fruit rappelle à l'automne la rouge cerise du printemps, toute cette végétation si riche de l'orée des bois qui tente de voler aux grands arbres un peu de la lumière que hêtres et chênes ne laissent passer qu'à regret et voler à la prairie son espace ouvert.
Ses élèves ignoraient pourquoi la forêt d'Arroubange porte le nom de "bois du père Antoine". Elle avait posé la question au Maire du village, un vieux paysan originaire de la localité et dont le patronyme figure déjà dans les registres paroissiaux de 1645. Monsieur Georges André n'avait pas été formel, modeste devant les appellations mystérieuses portées par les générations et dont l'origine ne saurait qu'être incertaine." Le fameux ermite Antoine aurait vécu dans ces bois vers l'an mille", lui avait-il expliqué. "Les forêts couvraient alors toute la région et ce sont les moines qui ont défriché ce coin de terre; peu à peu s'est construit Arroubange sur l'éperon rocheux qui domine le vallon de Trilbois".
Claire a gardé pour elle ces explications vagues, ayant conservé de ses études à l'école normale la volonté de ne faire entrer dans ses leçons qu'éléments dont elle-même serait convaincue. Ainsi s'est elle refusée à enseigner la religion, domaine où se dissimulent tant d’ incertitudes; elle a lâchement abandonné cet enseignement à Monsieur le Curé qui s'en ai saisi contre une rétribution bienvenue pour adoucir la rigueur de sa vie austère d'ecclésiastique. Claire enseigne pourtant l'histoire, alimente les imaginations enfantines des exploits de héros. Il est bien délicat de faire la part qui revient à la légende, dans le récit de leurs faits et gestes. Elle évoque bien la mémoire Roland traitreusement attaqué par les maures à Roncevaux, celle du Grand Ferré pourfendant l'anglais au temps de la lointaine guerre de cent ans. Et que serait cette guerre sans l'évocation de Jeanne, bergère aux champs avant d'être guerrière, victorieuse à Orléans?
Comme à son habitude, elle avait pris ce matin-là un petit déjeuner copieux, de pain beurré, de miel, de fruits et de céréales afin tenir jusqu'à midi. Elle occupe le logement de fonction à l'étage, juste au-dessus de l'unique salle de classe d'Arroubange. Il faisait encore très d'ombre. Elle avait sursauté à la plainte familière des escaliers de bois noir qui mènent à la porte de sa salle de classe. Elle en avait dévalé les marches dans l'obscurité et seule, le pommeau de fonte qui marque la fin de la rampe lui avait indiqué qu'elle trouverait, à tâtons sous sa main gauche, la clenche de la porte de la salle de classe.
Soudain Claire porte les yeux sur son stylo et s'effacent sans délai les images de la vieille école d'Arroubange.
Elle n'est plus seule. Ses longs doigts blancs se sont glissés dans ceux de Pierre. Les rosiers défleurissent aux jardins de la ville écrasée de soleil.
Ils marchent ainsi, la main dans la main sur le chemin de terre qui court en serpentant sur les berges de la rivière. Trembles et saules frissonnent à la brise douce de cet après-midi d'août finissant.
Pierre a pris dans ses mains le visage de Claire. Ils se sont posés, front à front, immobiles et silencieux.
Déjà regrette-t-elle sans doute le temps de l'aube de leur amour.
Ils ne savaient pas encore. Bientôt ils sauraient ce que séparation veut dire. Ils ne s'étaient dits qu'au revoir pourtant...
Pierre n'était plus revenu, dévoré par l'institution militaire, mis au secret, par elle, là-bas, en Allemagne, pour une préparation aux tâches guerrière qui l'attendaient en Algérie. Et peu à peu, Claire s'était usé l'âme à la corrosive émeri de l'absence, du quotidien; elle ressent confusément le besoin d'une présence, il lui faut des points d'appuis fermes. Peu à peu, tandis que que Pierre n'a d'autre ressources qu'elle, l'attendre et l'espérer, Claire est confrontée aux difficultés petites et grandes qui l'assaillent et Pierre n'est pas là pour la soutenir. Elle est lasse. Il n'est plus que virtuel à présent, un mythe, inefficace et presque inutile.
Claire n'avait pas encore commencé son travail. Il en était toujours ainsi, lorsqu'elle posait à côté d'elle la boîte métallique aux souvenirs. Elle prenait une lettre, en relisait un passage, rêvait un instant, reprenait un autre feuillet non sans avoir rangé soigneusement le précédent. Ainsi, elle avait pris la dernière lettre de la boîte.
Les lettres de Pierre, elle les avait toutes conservées; elles occuperaient sa mémoire.
- Quand tu ne m'aimeras plus, Claire, tu me rendras mes lettres, avait dit Pierre un jour de doute.
- Non, Pierre, tu me les a écrites, elles m'appartiennent à présent...Et de toutes façons, je ne cesserai jamais de t'aimer.
Elle ne savait pas encore que ces traces indélébiles n'auraient bientôt d'autres vertu que d'alimenter ses remords
- Lolo90
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Re: La chute (suite)
Ah c’est certain qu’à ton époque il n’y avait pas internet , ni les moyens de communication d’aujourd’hui
L’absence et l’éloignement à la longue érodent les sentiments, augmentent les doutes de l’amour de l’autre. Mais si cette épreuve est surmontée cela prouve que l’amour était assez grand et construit des fondations fortes pour le futur au moment des retrouvailles.
D’un autre côté, si tout arrive tout de suite sans effort, on n’apprécie pas assez le bonheur que nous pouvons avoir.
Ce que tu décrits pour les élèves , mes parents m’ont déjà parlé de leur enfance et cela ressemblait beaucoup.
Les enfants de paysans ne venaient plus à l’école quand les travaux dans les champs étaient nécessaires et ils se destinaient à continuer l’exploitation et n’avaient pas trop envie d’apprendre à l’école.
Ta prose est vraiment digne d’un écrivain de talent , tu pourrais franchement te lancer dans l’écriture d’un roman

L’absence et l’éloignement à la longue érodent les sentiments, augmentent les doutes de l’amour de l’autre. Mais si cette épreuve est surmontée cela prouve que l’amour était assez grand et construit des fondations fortes pour le futur au moment des retrouvailles.
D’un autre côté, si tout arrive tout de suite sans effort, on n’apprécie pas assez le bonheur que nous pouvons avoir.
Ce que tu décrits pour les élèves , mes parents m’ont déjà parlé de leur enfance et cela ressemblait beaucoup.
Les enfants de paysans ne venaient plus à l’école quand les travaux dans les champs étaient nécessaires et ils se destinaient à continuer l’exploitation et n’avaient pas trop envie d’apprendre à l’école.
Ta prose est vraiment digne d’un écrivain de talent , tu pourrais franchement te lancer dans l’écriture d’un roman
- Robert
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Re: La chute (suite)
Ton jugement Lolo est très flatteur. Commencer une carrière de romancier à 85 ans !
J’écris juste pour user le temps, et le temps est long qui résiste à mon impatience.
Bon, je n’ai pas fini de passer des bouts de texte dans cyber potes et en pensant que leur lecture est facultative



J’écris juste pour user le temps, et le temps est long qui résiste à mon impatience.
Bon, je n’ai pas fini de passer des bouts de texte dans cyber potes et en pensant que leur lecture est facultative
- phiphi76
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Re: La chute (suite)
Tout simplement magnifique Robert, cela sent bon la vie d'autrefois, surtout, ne t'arrête pas en chemin.
Tu vois, l'autre jour lorsque je suis aller voir Gauthier Capuçon, je discutais avec une charmante personne et lui disais que c'était chez moi un très grand regret de ne pas avoir appris la musique tant j'aime ça, et elle m'a répondu illico-presto : il n'est jamais trop tard pour bien faire, alors, je te renvoie son aimable réflexion : il n'est jamais trop tard Robert, avec ton immense talent, dont tu nous fais régulièrement apprécier " La Pimeure ", tu peux largement envisager de publier tes mémoires majestueusement rédigées, sans aucuns doutes.
@ cyberpotes + !
Tu vois, l'autre jour lorsque je suis aller voir Gauthier Capuçon, je discutais avec une charmante personne et lui disais que c'était chez moi un très grand regret de ne pas avoir appris la musique tant j'aime ça, et elle m'a répondu illico-presto : il n'est jamais trop tard pour bien faire, alors, je te renvoie son aimable réflexion : il n'est jamais trop tard Robert, avec ton immense talent, dont tu nous fais régulièrement apprécier " La Pimeure ", tu peux largement envisager de publier tes mémoires majestueusement rédigées, sans aucuns doutes.
@ cyberpotes + !
- Denis
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Re: La chute (suite)
Moi je n’ai pas envie de passer à coté de ça… Alors continue!!!