La rivière peut être menue et d’une eau limpide, usant sempiternellement les galets de son lit ; elle peut être large, lente, rouler des eaux profondes entre ses berges vertes ou ses roselières mystérieuses ; son lit peut être encombré de bancs de sable blond, d’ilôts de limon fertiles, encombrés d’une végétation sauvage ...
Comme en amitié, l’ancienneté donne une valeur ajoutée aux choses, et si j’ai une vraie affection pour toutes les rivières, il en est une à laquelle je suis attaché : Elle s’appelle la Saône. Large et majestueuse à l’endroit de son cours où je l’ai connue, ne mériterait-elle pas l’appellation de fleuve, ma Saône ?
Je l’ai côtoyée dans ma petite enfance ... en 1943. Ma mémoire souvent infidèle est ici d’une précision totale. Je revois le calendrier au mur du bureau de l’établissement où travaillaient mon grand père et je pense ma tante. 1943 écrit en caractères rouges.
La guerre m’avait poussé là ; mes parents résidaient en zone occupée et la petite ville de Tournus où étaient établis mes grands-parents en zone libre, je pense que je dois à cet aléa de l’histoire d’avoir séjourné à Tournus, dans ma petite enfance. Mais à cinq ans, personne n'a conscience des événements qui nous entourent. C'était la guerre et je ne le savais pas !
Et me remontent en vagues des souvenirs menus ... la cave «Gravallon», commerce de vin, avec ses tonneaux de belle taille, le passage Cadot où avec des gamins, nous accompagnions une vieille mendiante de ce méchant refrain (c’est la mère Sipette, qui pue et qui pète, qui prend son c.. pour une trompette !). Je le sais, le compositeur de ce couplet ne passera pas à la postérité sans doute !
En cette année 1943, une passerelle provisoire enjambait la rivière ; l’hiver, particulièrement rigoureux avait gelé son eau et, le printemps venu, j’avais assisté à ce spectacle inédit de la débâcle des glaces sur un fleuve, dans un fracas que j’ai mémorisé. La Saône s’était prise un temps pour la Néva !
Et je pêchais l’ablette au déversoir des égouts de la ville, ou bien l’écrevisse cachée sous les pierres du rivage, à l'aide d'une épuisette ... Les enfants de ma génération avons eu une liberté que n'ont pas connue, ni mes enfants, ni mes petits enfants ... je pense qu'aujourd'hui, on ne laisserait plus un gamin de cinq ans seul au bord d'une rivière !
Curieusement je n’ai aucun souvenir de l’école de Tournus, que pourtant j’ai dû fréquenter un temps. J’ai l’excuse d’avoir usé de plus d’écoles que le nombre d’années d’une scolarité pleine !
C’est toujours avec plaisir qu’aujourd’hui encore, presque soixante-quinze ans après, je fais un petit crochet pour m’arrêter un instant à Tournus, sur les quais de la Saône. Sans doute, la ville a-t-elle changé, mais ma rivière coule toujours, indifférente au temps qui passe, et roulent ses eaux sous les arches du pont neuf, pour une éternité.
J’aime encore cet endroit, les quais ombragés de vieux platanes et la rue, pour moi, a conservé son âme.
Les quais ombragés de la Saône à Tournus.

Le passage Cadot dont il est question plus haut. Il s'agit d'un passage couvert qui mettait en relation les quais de la Saône et la rue commerçante de Tournus.
