Auto-biographie ....
Posté : 19 janv. 2021, 10:29
Nous avons parlé dans un autre post, d'auto-biographie.
J'avais commencé pour moi ce délicat travail de mémoire et par hasard, j'en ai retrouvé trace dans mes archives d'ordinateur. Il y en a ... 150 pages pour un petit bout d'existence et je n'aurais pas le temps matériel de terminer ce récit.
En voici quelques lignes.
Nous sommes en 1959 ... Je viens d'être incorporé pour mon service militaire.
Lors de mon incorporation, à la caserne du quartier Gautier à Metz, le sergent fourrier du lieu m'a fourni une paire de "chaussettes à clous" dont je n'ai, malheureusement pas pu faire une photographie. Ces brodequins ont dû chausser des générations de soldats de deuxième classe depuis les tranchées où croupirent les "poilus" à l'aube de ce siècle! Leurs semelles avaient la souplesse d'un cul de bouteille, leurs tiges et empeignes étaient agrémentées de boursouflures diverses et leurs extrémités remontaient d'une manière tout à fait comique. Elles avaient la masse qu'auraient eue une réplique en plomb. Je dois cependant à la vérité de dire que les clous des semelles et l'un deux lacets étaient neufs, l'autre étant constitué des vestiges de ses prédécesseurs. J'ai eu la bonne volonté de les essayer, de les garder à mes pieds jusqu'à ce que de multiples meurtrissures et ampoules ne m'entraînent à les quitter pour chausser avec délice les chaussures civiles qu'indûment j'avais conservées dans mon paquetage.
Elles allaient causer ma perte, à tout le moins être responsables d'un premier contact rugueux avec l'institution militaire.
Un train brinquebalant nous a conduit de Metz à Karlsruhe, notre point de chute. Et nous avons été conduits, à pleins camions, à travers cette ville allemande encore en ruines, dans la caserne de la "Kaiser allee" qui va abriter nos premières évolutions militaires. Nous venons de nous installer dans nos chambrées d'une dizaine d'occupants, lorsque le caporal de service entre.
- Qui est Pierre Desarmoise?
- C'est moi!
- Le Capitaine veut te voir.
Sans doute la première lettre de mon nom me valait-elle d'être le premier sur la liste du peloton des "Elèves Officiers de Réserve" et par conséquent, je bénéficiais de l'insigne faveur de faire connaissance avec l'officier chargé de mener au grade de sous-lieutenant les quelques incorporés bacheliers de ce contingent.
- Viens, m'indique le caporal, c'est par là. Tu vois c'est la porte brune au fond du couloir.
Je frappe civilement à la porte indiquée.
- Entrez!
....................Long silence. Je me sens longuement détaillé, toisé, de la tête aux pieds et le rouge monte aux bajoues du bouledogue vautré dans son fauteuil, derrière son bureau et qui m'observe avec insistance. J'ai la très désagréable impression d'être nu comme le jour du "conseil de révision" qui m'a embarqué dans cette galère du peloton des élèves officiers.
- Mais alors, crétin! On ne vous a pas appris à vous présenter! Garde à vous , non de Dieu....
Ces ordres assortis de jurons me laissent totalement pantois.
- Dites : « 2ème CST Desarmoises! A vos ordre mon Capitaine ».
Pris au dépourvu, je répète servilement ce que m'indique le capitaine Sanchis, avec lequel je viens de faire connaissance, sans grand plaisir. J'apprenais dans la foulée que j'étais "2ème CST"...sigle éminemment ésotérique dont la signification devait m'être bientôt révélée : « canonnier servant tireur de deuxième classe ».
- Mais dites donc, Desarmoises, vous vous foutez du monde...
Le bouledogue est cramoisi et je n'ai encore rien compris.
.....?
- Vous vous foutez du monde, Desarmoises. Qui vous a autorisé à mettre ces godasses ridicules!
L'officier extrait soudain sa bedaine du fauteuil avec une insoupçonnable agilité ; il tourne autour de moi à présent comme un chien tourne autour du réverbère sur lequel il tient à aposer sa signature en forme de jet d’urine qui marque son territoire. Cet examen fait encore monter sa pression artérielle si j'en juge au teint écarlate de mon tortionnaire. Il se dirige enfin vers la porte et hurle à s'en rendre aphone:
- Caporal watrin !...Caporal Watrin !...
L'intéressé accourt aussi vite que peuvent le porter ses courtes pattes, se met au garde à vous:
- Caporal Watrin ! A vos ordres, mon capitaine.
- Caporal, vous avez en face de vous, là dans mon bureau, une élégante dont je tiens à sanctionner l'indiscipline. Ses initiales sont PD et je le soupçonne d'en être. En attendant notez pour cette nuit, il a droit à « une tenue de campagne » soignée. Et, j'oubliais, pour lui ce sera la « boule à zéro ».
- A vos ordres, mon capitaine !
Comme j'ignorait la signification du sigle 2ème CST, ou du vocable « garde à vous », je viens d'enrichir mon vocabulaire de la périphrase « tenue ce campagne », dont je pensais qu'elle ne pouvait que correspondre à une sanction, celle que le capitaine a jugé utile de m'infliger. Quant à la seconde sanction, « la boule à zéro », j'imagine facilement en quoi elle consiste pour avoir observé quelques appelés au crâne lisse comme une boule de pétanque.
Retour dans la chambre. Mes compagnons dont j'ignore tout m'interrogent.
- Qu'est-ce-qu'il t'a dit? On l'a entendu hurler dans le couloir...
Les gars, je n'y comprends rien. Il m'a vertement engueulé parce que j'ai mis mes chaussures de ville...
Les autres n'y comprennent rien non plus, sauf un grand escogriffe d'alsacien nommé Joseph Waechter qui a fait sa préparation militaire et qui, par conséquent, a été initié avant l'heure à tout ce vocabulaire connexe à notre nouvel état. Lui aussi trouve qu'il est offensant, pour un capitaine, de recevoir une nouvelle recrue en chaussures de ville...Hélas, et c’est l’illustration du fait qu’aucune culture n’est vraiment complète, mon collègue ne sait pas ce que signifie « tenue de campagne » et la sanction qui m'est infligée demeure mystérieuse.
J'avais commencé pour moi ce délicat travail de mémoire et par hasard, j'en ai retrouvé trace dans mes archives d'ordinateur. Il y en a ... 150 pages pour un petit bout d'existence et je n'aurais pas le temps matériel de terminer ce récit.
En voici quelques lignes.
Nous sommes en 1959 ... Je viens d'être incorporé pour mon service militaire.
Lors de mon incorporation, à la caserne du quartier Gautier à Metz, le sergent fourrier du lieu m'a fourni une paire de "chaussettes à clous" dont je n'ai, malheureusement pas pu faire une photographie. Ces brodequins ont dû chausser des générations de soldats de deuxième classe depuis les tranchées où croupirent les "poilus" à l'aube de ce siècle! Leurs semelles avaient la souplesse d'un cul de bouteille, leurs tiges et empeignes étaient agrémentées de boursouflures diverses et leurs extrémités remontaient d'une manière tout à fait comique. Elles avaient la masse qu'auraient eue une réplique en plomb. Je dois cependant à la vérité de dire que les clous des semelles et l'un deux lacets étaient neufs, l'autre étant constitué des vestiges de ses prédécesseurs. J'ai eu la bonne volonté de les essayer, de les garder à mes pieds jusqu'à ce que de multiples meurtrissures et ampoules ne m'entraînent à les quitter pour chausser avec délice les chaussures civiles qu'indûment j'avais conservées dans mon paquetage.
Elles allaient causer ma perte, à tout le moins être responsables d'un premier contact rugueux avec l'institution militaire.
Un train brinquebalant nous a conduit de Metz à Karlsruhe, notre point de chute. Et nous avons été conduits, à pleins camions, à travers cette ville allemande encore en ruines, dans la caserne de la "Kaiser allee" qui va abriter nos premières évolutions militaires. Nous venons de nous installer dans nos chambrées d'une dizaine d'occupants, lorsque le caporal de service entre.
- Qui est Pierre Desarmoise?
- C'est moi!
- Le Capitaine veut te voir.
Sans doute la première lettre de mon nom me valait-elle d'être le premier sur la liste du peloton des "Elèves Officiers de Réserve" et par conséquent, je bénéficiais de l'insigne faveur de faire connaissance avec l'officier chargé de mener au grade de sous-lieutenant les quelques incorporés bacheliers de ce contingent.
- Viens, m'indique le caporal, c'est par là. Tu vois c'est la porte brune au fond du couloir.
Je frappe civilement à la porte indiquée.
- Entrez!
....................Long silence. Je me sens longuement détaillé, toisé, de la tête aux pieds et le rouge monte aux bajoues du bouledogue vautré dans son fauteuil, derrière son bureau et qui m'observe avec insistance. J'ai la très désagréable impression d'être nu comme le jour du "conseil de révision" qui m'a embarqué dans cette galère du peloton des élèves officiers.
- Mais alors, crétin! On ne vous a pas appris à vous présenter! Garde à vous , non de Dieu....
Ces ordres assortis de jurons me laissent totalement pantois.
- Dites : « 2ème CST Desarmoises! A vos ordre mon Capitaine ».
Pris au dépourvu, je répète servilement ce que m'indique le capitaine Sanchis, avec lequel je viens de faire connaissance, sans grand plaisir. J'apprenais dans la foulée que j'étais "2ème CST"...sigle éminemment ésotérique dont la signification devait m'être bientôt révélée : « canonnier servant tireur de deuxième classe ».
- Mais dites donc, Desarmoises, vous vous foutez du monde...
Le bouledogue est cramoisi et je n'ai encore rien compris.
.....?
- Vous vous foutez du monde, Desarmoises. Qui vous a autorisé à mettre ces godasses ridicules!
L'officier extrait soudain sa bedaine du fauteuil avec une insoupçonnable agilité ; il tourne autour de moi à présent comme un chien tourne autour du réverbère sur lequel il tient à aposer sa signature en forme de jet d’urine qui marque son territoire. Cet examen fait encore monter sa pression artérielle si j'en juge au teint écarlate de mon tortionnaire. Il se dirige enfin vers la porte et hurle à s'en rendre aphone:
- Caporal watrin !...Caporal Watrin !...
L'intéressé accourt aussi vite que peuvent le porter ses courtes pattes, se met au garde à vous:
- Caporal Watrin ! A vos ordres, mon capitaine.
- Caporal, vous avez en face de vous, là dans mon bureau, une élégante dont je tiens à sanctionner l'indiscipline. Ses initiales sont PD et je le soupçonne d'en être. En attendant notez pour cette nuit, il a droit à « une tenue de campagne » soignée. Et, j'oubliais, pour lui ce sera la « boule à zéro ».
- A vos ordres, mon capitaine !
Comme j'ignorait la signification du sigle 2ème CST, ou du vocable « garde à vous », je viens d'enrichir mon vocabulaire de la périphrase « tenue ce campagne », dont je pensais qu'elle ne pouvait que correspondre à une sanction, celle que le capitaine a jugé utile de m'infliger. Quant à la seconde sanction, « la boule à zéro », j'imagine facilement en quoi elle consiste pour avoir observé quelques appelés au crâne lisse comme une boule de pétanque.
Retour dans la chambre. Mes compagnons dont j'ignore tout m'interrogent.
- Qu'est-ce-qu'il t'a dit? On l'a entendu hurler dans le couloir...
Les gars, je n'y comprends rien. Il m'a vertement engueulé parce que j'ai mis mes chaussures de ville...
Les autres n'y comprennent rien non plus, sauf un grand escogriffe d'alsacien nommé Joseph Waechter qui a fait sa préparation militaire et qui, par conséquent, a été initié avant l'heure à tout ce vocabulaire connexe à notre nouvel état. Lui aussi trouve qu'il est offensant, pour un capitaine, de recevoir une nouvelle recrue en chaussures de ville...Hélas, et c’est l’illustration du fait qu’aucune culture n’est vraiment complète, mon collègue ne sait pas ce que signifie « tenue de campagne » et la sanction qui m'est infligée demeure mystérieuse.