Adieux à la pédale ...

[Robert]

J’ai rencontré Bernard Migaud il y a une quarantaine d’années, je n’ai pas la date exacte, lors d’une randonnée cyclo-touristique, dans la campagne, autour de Pont-à-Mousson. J’étais seul ce jour là. Arrivé à sa hauteur, j’ai salué ce randonneur unijambiste particulier et roulé un court moment à ses côtés. Un court moment car Bernard m’a invité à poursuivre mon chemin, avec la manière un peu bourrue qui lui est propre ; je n’ai pas obtempéré et pris le temps de faire sa connaissance … Membres du même club, sans le savoir avant cette rencontre, nous allions avoir le temps de lier une longue amitié.

Bernard Migaud est unijambiste, amputé dans son enfance d’une jambe malade, qu’à cette époque, on ne savait pas soigner autrement que par l’amputation.
Mon ami pédale donc avec un pilon, sur une bicyclette à une seule pédale.
Par ailleurs, ingénieur diplômé d’une grande école scientifique, écrivain à ses heures, la compagnie de Bernard est enrichissante et j’en ai usé.

Son palmarès cycliste serait étonnant même pour un bipède.
Je le résume :
Sans aucun doute un nombre impressionnant de kilomètres (non comptabilisés)
Pour ceux qui connaissent, Bernard à bouclé tous les BCN, BPF organisés par la FFCT
Eminent membre du club des cent cols, pour ne pas donner dans la demi-mesure, il en a grimpé … mille, différents bien entendu.
Il a fait le parcours de Thonon - Trieste, entre autres grandes randonnées …

Voilà le passé replacé dans son contexte. Pour revenir au présent, j’ai appelé Bernard à l’occasion du nouvel an.
Il m’a alors fait part d’une correspondance qu’il vient d’adresser aux dirigeants de la FFCT, association dont il a été membre pendant des décennies.

Cette lettre émouvante, je vous en communique une copie, après que son auteur m’en ait donné l’autorisation.


Madame la Présidente,

Il est un âge où il faut savoir s’effacer, ne pas renouveler ses abonnements, ne plus adhérer à une association. Il a sonné pour moi – 92 ans.

Mais quitter la Fédération Française de Cyclotourisme sans UN GRAND MERCI m’est impossible.

Le merci est d’abord celui du gamin sur béquilles de la photo jointe.
A ce moment-là, août 1939, il n’avait jamais approché un vélo – eh oui ! En 1945, il apprend à faire du vélo (1). En 1949, majeur, il a enfin une bicyclette à lui et c’est :
- le métro abandonné pour des slaloms à bicyclette entre voitures, camions, autocars.
- quelques randonnées dans les vallées : Seine, Loire.

Travail, famille, 1968, fin des Trente Glorieuses, sidérurgie où je travaille qui bat de l’aile, moral en baisse.
Pour me changer les idées, le dimanche matin je fais régulièrement une sortie sur ma bicyclette – toujours celle de 1949, une belle et bonne randonneuse, je l’appelais La Rouge. Je croise des cyclistes « en uniforme » : ils font partie d’un club ; parmi eux, j’en repère quelques-uns d’un certain âge au milieu desquels je ne serai pas ridicule. Un dimanche, je me présente au point de départ du Cyclo Club de Metz , j’y adhère et me voilà membre de la Fédération Française de Cyclotourisme.

Et c’est la participation à des concentrations locales (Côtes de Moselle, Montagne de Reims, Lacs Vosgiens) où je rencontre une bonne ambiance de cyclos et cyclotes à deux pédales, où j’oublie que je n’en ai qu’une.
C’est aussi la découverte du programme de la FFCT :
- ces brevets de Cyclotourisme National (BCN) et des Provinces Françaises (BPF).
- le club des Cent Cols.
- les semaines fédérales.
Après l’achat d’une bicyclette plus légère – toujours randonneuse avec garde-boue et porte-bagage à l’avant et à l’arrière, mais avec un troisième plateau : La Noire est son nom - je me lance dans tout cela :
- la cueillette des tampons à travers la belle France pour BCN et BPF.
- la grimpée dans la liste des cols :
- le premier « plus de 2000 » à cinquante ans passés … l’Izoard, rien moins, inquiet en bas, n’en revenant pas en haut. Rétrospectivement, s’y être lancé seul, sans téléphone (pas de portable en 1978), n’était pas raisonnable mais imposer mon rythme lent, il n’était pas question d’autant que je n’étais pas sûr.
- le col du Pilon – minus mais quel nom !
- le 1000°, le col du Bel Homme – pour narguer ce qui pendait à gauche et l’âge : 72 ans.
- des semaines fédérales… Pamiers est la première en 1980, carrément en pleine montagne au milieu des « double-pédaleurs » de toute force, après la mise en confiance sur l’Izoard et le Galibier dans la foulée.

Ma vie n’était axée que par cela, trop vis-à-vis de ma famille. Annie mon épouse finira par me suivre – pour me dépasser sur la route ! Une fille et une petite fille pédaleront dans ces Alpes et Pyrénées si chères à leur père et grand-père.

Ah, la bicyclette ! Ah « La Noire » ! Oublée l’amputation dans cette mêlée du mono-cycliste à des bi-cyclistes, non sans un peu de fierté, c’est vrai.

Merci à la Fédération Française de Cyclotourisme qui a donné les clefs de cette reconversion.

Avec mes meilleurs vœux pour 2011

Bernard Migaud

(1) Un apprentissage singulier. Je passais des vacances, seul, chez un vieil agriculteur. D’un de ses hangars où elle se mourait, il sortit la bicyclette de sa femme équipée d’un pignon fixe – courant à cette époque – l’amena à l’entrée d’un long couloir, m’appela, m’aida à monter dessus et me poussa entre les deux murs … vaille que vaille pour l’atterrissage dans une allée du jardin. Ce brave vieux ne pouvait pas s’élancer et courir derrière moi, prêt à ramasser les morceaux ; il n’y en eut pas ! La suite …

[Finistere29]

c'est bien lui ?
[urlhttps://www.centcols.org/revues/15/A15037.htm] [/url]

[Robert]

c'est bien lui ?
[urlhttps://www.centcols.org/revues/15/A15037.htm] [/url]

Bien sûr !
Il est petit le monde cycliste !

[Lolo90]

Encore un gars au-dessus des normes et qui mérite le respect

[phiphi76]

Que de beaux articles ! L'imagination aidant, on vit facilement ce que l'on lit !
@cyberpotes+ !

[Robert]

Encore un gars au-dessus des normes et qui mérite le respect

Effectivement ... et comme je le connais bien je confirme : une vie hors normes.