Lettre ouverte à mon beau-frère.

C'est plutôt "café du commerce" où l'on refait le monde.
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Robert
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Lettre ouverte à mon beau-frère.

Message par Robert »

Ce post est bien entendu complètement incongru sur un forum dédié à la bicyclette.
J'en suis bien conscient et cet avertissement est destiné à ceux qui n'ont que peu de temps à consacrer aux lectures inutiles !

Bien cher Jean-Paul,

Alors que la nuit est encore à ma fenêtre, qu’hier tu t’en es allé, j’éprouve ce besoin de t’écrire un mot. C’est ainsi, l’écriture est ma soupape de décompression … Je ne sais comment fonctionne le service postal de l’au-delà mais je me persuade que bientôt tu recevras ma lettre.

……………..

Voilà le décor planté.
Nous sommes réunis dans la salle réservée du funérarium de la ville pour te rendre un dernier hommage. Le diacre officie. Il vient de faire un résumé documenté de ton existence devant une assemblée réduite, à cause de la pandémie qui rend le monde malade.
Je me suis enfermé dans une tour qui n’est pas d’ivoire mais hermétique à ce qui m’entoure. Et je voyage dans le temps. Nous avons vingt ans, Jean-Paul, des blousons légers en nylon, textile importé récemment des Amériques, et nous devisons juchés sur les sièges très hauts du milk-bar à siroter à l’aide d’une paille le lait-grenadine à la mode … Tu étais mon cadet et tant amoureux de ma petite soeur que nous étions, déjà, presque, de la même famille.
Mais, la petite cérémonie qui t’était consacrée s’achève qui me tire de mes rêves. Je suis à nouveau dans le réel, autour de moi on chuchote.
Et tu es toujours là. Successivement nous allons vers ton dernier costume en forme de boîte en bois pour y poser les mains et une pensée ; je reprends la conscience que tu ne reviendras pas, mon « unique beauf ! » … Mon unique beauf c’est ainsi que nous nous interpellions, depuis très longtemps.

…………..

Changement de décor … comme dans un mauvais rêve nous voilà au crématorium de la ville. C’est toi qui as choisi tes obsèques, tu es resté très conscient, jusque dans tes derniers moments de vie.
L’assistance s’est réduite, considérablement. Nous ne sommes plus que quelques-uns de tes proches, dans une salle réservée à ta famille, près de toi qui bientôt retourneras à l’état de cendres.
Mon unique beauf, tu es déjà loin et nous ne voyons plus que ton cercueil sur un vaste écran, dans un décor d’une modernité totale.
Les obsèques par crémation sont pour moi une découverte. Tu vois, tu vas contribuer un peu à ma connaissance du monde qui m’entoure et qui m’est de plus en plus étranger.
Je l’avoue, je n’ai pas aimé ce moment. Je n’aimerai jamais ces obsèques modernisées, aseptisées, américanisées, informatisées, comme un sort réservé à un condamné à mort et qui excluraient presque les chagrins de l’âme.
Je suis du temps des cimetières, temps des retours à la terre qui nous a nourris, quand on recouvre le cercueil alors que l’assistance se tient debout, parfois dans le vent, la pluie, sous un ciel bleu ou gris …

……………

Nous sommes restés un moment dans cette salle si impersonnelle qu’elle ne m’a laissé que le souvenir de son écran, comme une salle faite pour un spectacle cinématographique. Et ma réflexion sur la vie et la mort s’est prolongée car l’employé spécialisé est venu nous annoncer que la crémation était différée à cause d’un « bug » informatique ! Tu vois, mon très cher « beauf », tes obsèques mêmes ont eu cette originalité emprunte de modernité !
Un temps de réflexion supplémentaire dans le silence nous est ainsi offert.

Te voilà dans l’autre monde, Jean-Paul, celui dont personne n’est jamais revenu pour nous en parler. Toutes les religions nous en font des descriptions concordantes, les bons, dont chacun espère être, qui sont heureux dans un éden magique et éternel, et les autres, les damnés, qui paient à jamais les turpitudes dont ils se sont rendus coupables ici-bas.

La vie, bien cher « beauf » … la vie a besoin de la mort pour exister, notre monde est ainsi fait. Elle dure une heure, un jour, parfois un siècle mais la mort nécessaire est inéluctable. Alors, plein d’espoir, je ne te dis pas « adieu », qui est un mot de fin, mais au revoir. « Au revoir » mon unique beauf ! A bientôt au « Pic Pic Bar » du paradis, nous y siroterons ensemble un lait-grenadine.

PS : La lettre que je t’ai écrite par la pensée cette nuit était beaucoup plus longue que celle-ci. Le clavier cruel de mon ordinateur l’a réduite, heureusement. Sans quoi, elle t’aurait donné la migraine.
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Lolo90
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Re: Lettre ouverte à mon beau-frère.

Message par Lolo90 »

Bien belle lettre Robert :cry:
Prends bien soin de ta soeur qui doit se sentir bien seule maintenant et ne te presse surtout pas pour aller boire un milk-shake avec ton beauf hein ? ;)
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phiphi76
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Re: Lettre ouverte à mon beau-frère.

Message par phiphi76 »

Lettre magnifique de Robert à son " beauf ", mais les connaissances littéraires de Robert ne m'en étonne pas.
Moi non plus je n'ai pas aimé du tout cet instant ou tu vois le départ du cercueil vers sa destination finale, ainsi que ce qu'ils appellent "" la mise à feu "", cela me laisse un souvenir terrible de cet instant cruel.
Comme le dit Lolo, prend soin de ta petite soeur, qui va avoir bien besoin de vous, j'espère qu'elle n'habite pas trop loin de chez vous.
Courage à vous deux, je pense bien à vous.
@cyberpotes+ !
benoit
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Re: Lettre ouverte à mon beau-frère.

Message par benoit »

très belle lettre de robert dont nous conaissons tous le talent de sa plume,avec l 'émotion et les souvenirs sous jacents. :(
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