La chute
Posté : 27 mai 2023, 16:25
La vie est là, simple et tranquille.
L’année nouvelle venait de commencer. À l’aube ce matin là le ciel était en deuil. Devant la tasse de mon café noir du petit déjeuner, je me suis dit : encore une journée où me sera imposé un confinement météorologique.
Au midi sonnant, le soleil nous fit un coucou derrière un rideau de nuages blancs.
-Tu ne sors pas, m‘interroge Josette ?
« …. Je ne sais pas, peut être aller faire un tour du côté de la maison forestière dite de Haberhacker. »
Désormais le soleil brille, je suis sur la route, le ciel est bleu, et j’aurais presque envie de chanter en descendant le chemin piétonnier de la vallée des éclusiers.
Alors que j’aborde le passage où mon chemin fait un S pour passer sous le pont de chemin de fer, alors que je suis encore dans mon rêve d’une balade en montagne, le tronc d’un arbre que je n’ai pas deviné se trouve en travers de ma route. En une fraction de seconde, je décide de passer l’obstacle. Las, ma roue est bloquée par l’obstacle, et moi de passer par-dessus mon vélo. Mon casque frotte sur la chaussée et se trouve soudain arrêté.C’est mon corps brutalement projeté qui me brise la nuque. Je suis pleinement conscient de la situation et tente de me relever. Il me faut un instant pour comprendre que je suis complètement paralysé, que je n’ai plus l’usage, ni de mes jambes, ni de mes bras ni de mes mains. Je suis là, affalé sur l’asphalte comme un simple objet.
Je reste ainsi une minute quand survient un cycliste qui se propose de téléphoner aux secours.
-Tu as un téléphone ? Me demande-t-il.
-Oui, au guidon de mon vélo.
Le cycliste inconnu me prévient tout de suite de ne pas bouger de ma position initiale et qu’il attend les secours. En effet, il a téléphoné au 15 et aux pompiers de la localité la plus proche.
Sur ces entrefaits, plusieurs promeneurs se sont arrêtés. Parmi eux, une femme qui me rassure en me disant qu’elle est médecin.
Les minutes me semblent des siècles dans la froidure de ce début d’après-midi de janvier.
Enfin arrivent les secours.
Après avoir découpé soigneusement mes vêtements à l’aide de ciseaux, je suis placé par les pompiers dans une coquille, pour un transport au service des urgences de l’hôpital de Sarrebourg.
Nous étions le 7 janvier.
Quatre mois ont passé. Cette scène de la chute repasse dans ma mémoire depuis ce sinistre jour, et chaque fois que je pense à ce désastreux moment, je trouve 1000 détails
qui auraient pu m’éviter la série de souffrances que le destin m’a imposé.
Je suis passé très près du point final. La mort en ce moment n’a pas voulu de moi. Depuis je pense souvent à elle et de m’efforcer de la chasser de mes pensées. Je m’accroche à la vie avec le petit espoir que les choses reviennent et reprennent leur place comme elles étaient avant ce sinistre 7 janvier.
Et depuis cette date, j’en ai connu des problèmes.
Un premier séjour au service des urgences de l’hôpital de Sarrebourg. Trois jours à attendre une place disponible au service de neurologie de l’hôpital central de Nancy et deux jours d’attente anxieuse dans la douleur.
Un transfert à Nancy au troisième jour après l’accident pour une opération très délicate sur mes vertèbres cervicales, reconnues fracturées. Un réveil après une longue opération avec des douleurs atroces.
Après un séjour d’une semaine à Nancy, j’ai été transféré au centre de réadaptation d’ Abreschviller où je suis encore aujourd’hui. Certes, les soins qui me sont prodigués sont excellents mais que d’attente dans la douleur et l’inconfort. Je n’étais pas d’un naturel patient mais avec le mot patient qui est devenu mon quotidien j’ai appris cette vertu bien plus que nécessaire.
Je survis donc, accroché au maigre espoir qu’un jour je retrouverai l’usage au moins partiel de mes bras et de mes jambes. Écrire ces lignes est pour moi, une grande douleur. En effet, immédiatement après mon accident, j’étais persuadé qu’avant la fin du mois de janvier, je serais redevenu l’homme que j’étais avant cette date fatidique du 7 janvier. Depuis je passe du plus fol espoir, à la plus profonde dépression, du rire aux larmes, et je me dis qu’après tant d’efforts, je n’ai pas le droit d’abandonner la partie ; et ce d’autant que je ne suis pas seul en cause. Toute ma famille est derrière moi qui s’est investie dans mes efforts et qui espère…
Si un jour je redeviens moi-même, je serai enrichi de la connaissance du prix de la vie. Je saurai faire le meilleur usage des bons jours que l’existence voudra bien encore m’accorder.
Garder le moral. Un énorme programme auquel je suis confronté souvent.
Hier matin, Josette m’apporte une funeste nouvelle : ton ami Bernard Migaud est décédé.
Au début du mois de janvier on m’a informé de la mort de mon ami Robert Perlot. Après, Henri, Louis, Gérard, la faux tourne autour de moi. Les jours qui passent enlèvent mes amis. Il en va ainsi de la vieillesse ou lentement mais sûrement nous nous retrouvons seuls. Voilà une bonne raison pour ne pas avoir l’envie de vieillir au delà de certaines limites.
Aujourd’hui, le soleil brille dans un ciel uniformément bleu et demain viendra l’orage et le vent et la pluie. Les jours se suivent et se ressemblent tant … Et sournoisement, l’ennui me guette.
Le ciel est par-dessus le toit, si bleu, si calme,
Un arbre par-dessus le toit, berce sa palme…
J’empreinte ces deux lignes à Verlaine. Il était dans sa prison quand il les a écrites, je suis dans la même situation que lui et mes yeux errent sur le parc ensoleillé du centre de rééducation. Souvent, je rêve d’une évasion, j’abandonne mon fauteuil et mes jambes me portent jusqu’à l’enclos qui emprisonne une harde de daims. Ils broutent une herbe rare dans une errance triste. Un promeneur, parfois, arrache au fossé, une poignée d’herbes folles qui font le bonheur de ces cervidés privés de leur liberté par l’homme qui s’arroge le droit de dominer, la nature, les animaux, les plantes et même ses semblables.
L’année nouvelle venait de commencer. À l’aube ce matin là le ciel était en deuil. Devant la tasse de mon café noir du petit déjeuner, je me suis dit : encore une journée où me sera imposé un confinement météorologique.
Au midi sonnant, le soleil nous fit un coucou derrière un rideau de nuages blancs.
-Tu ne sors pas, m‘interroge Josette ?
« …. Je ne sais pas, peut être aller faire un tour du côté de la maison forestière dite de Haberhacker. »
Désormais le soleil brille, je suis sur la route, le ciel est bleu, et j’aurais presque envie de chanter en descendant le chemin piétonnier de la vallée des éclusiers.
Alors que j’aborde le passage où mon chemin fait un S pour passer sous le pont de chemin de fer, alors que je suis encore dans mon rêve d’une balade en montagne, le tronc d’un arbre que je n’ai pas deviné se trouve en travers de ma route. En une fraction de seconde, je décide de passer l’obstacle. Las, ma roue est bloquée par l’obstacle, et moi de passer par-dessus mon vélo. Mon casque frotte sur la chaussée et se trouve soudain arrêté.C’est mon corps brutalement projeté qui me brise la nuque. Je suis pleinement conscient de la situation et tente de me relever. Il me faut un instant pour comprendre que je suis complètement paralysé, que je n’ai plus l’usage, ni de mes jambes, ni de mes bras ni de mes mains. Je suis là, affalé sur l’asphalte comme un simple objet.
Je reste ainsi une minute quand survient un cycliste qui se propose de téléphoner aux secours.
-Tu as un téléphone ? Me demande-t-il.
-Oui, au guidon de mon vélo.
Le cycliste inconnu me prévient tout de suite de ne pas bouger de ma position initiale et qu’il attend les secours. En effet, il a téléphoné au 15 et aux pompiers de la localité la plus proche.
Sur ces entrefaits, plusieurs promeneurs se sont arrêtés. Parmi eux, une femme qui me rassure en me disant qu’elle est médecin.
Les minutes me semblent des siècles dans la froidure de ce début d’après-midi de janvier.
Enfin arrivent les secours.
Après avoir découpé soigneusement mes vêtements à l’aide de ciseaux, je suis placé par les pompiers dans une coquille, pour un transport au service des urgences de l’hôpital de Sarrebourg.
Nous étions le 7 janvier.
Quatre mois ont passé. Cette scène de la chute repasse dans ma mémoire depuis ce sinistre jour, et chaque fois que je pense à ce désastreux moment, je trouve 1000 détails
qui auraient pu m’éviter la série de souffrances que le destin m’a imposé.
Je suis passé très près du point final. La mort en ce moment n’a pas voulu de moi. Depuis je pense souvent à elle et de m’efforcer de la chasser de mes pensées. Je m’accroche à la vie avec le petit espoir que les choses reviennent et reprennent leur place comme elles étaient avant ce sinistre 7 janvier.
Et depuis cette date, j’en ai connu des problèmes.
Un premier séjour au service des urgences de l’hôpital de Sarrebourg. Trois jours à attendre une place disponible au service de neurologie de l’hôpital central de Nancy et deux jours d’attente anxieuse dans la douleur.
Un transfert à Nancy au troisième jour après l’accident pour une opération très délicate sur mes vertèbres cervicales, reconnues fracturées. Un réveil après une longue opération avec des douleurs atroces.
Après un séjour d’une semaine à Nancy, j’ai été transféré au centre de réadaptation d’ Abreschviller où je suis encore aujourd’hui. Certes, les soins qui me sont prodigués sont excellents mais que d’attente dans la douleur et l’inconfort. Je n’étais pas d’un naturel patient mais avec le mot patient qui est devenu mon quotidien j’ai appris cette vertu bien plus que nécessaire.
Je survis donc, accroché au maigre espoir qu’un jour je retrouverai l’usage au moins partiel de mes bras et de mes jambes. Écrire ces lignes est pour moi, une grande douleur. En effet, immédiatement après mon accident, j’étais persuadé qu’avant la fin du mois de janvier, je serais redevenu l’homme que j’étais avant cette date fatidique du 7 janvier. Depuis je passe du plus fol espoir, à la plus profonde dépression, du rire aux larmes, et je me dis qu’après tant d’efforts, je n’ai pas le droit d’abandonner la partie ; et ce d’autant que je ne suis pas seul en cause. Toute ma famille est derrière moi qui s’est investie dans mes efforts et qui espère…
Si un jour je redeviens moi-même, je serai enrichi de la connaissance du prix de la vie. Je saurai faire le meilleur usage des bons jours que l’existence voudra bien encore m’accorder.
Garder le moral. Un énorme programme auquel je suis confronté souvent.
Hier matin, Josette m’apporte une funeste nouvelle : ton ami Bernard Migaud est décédé.
Au début du mois de janvier on m’a informé de la mort de mon ami Robert Perlot. Après, Henri, Louis, Gérard, la faux tourne autour de moi. Les jours qui passent enlèvent mes amis. Il en va ainsi de la vieillesse ou lentement mais sûrement nous nous retrouvons seuls. Voilà une bonne raison pour ne pas avoir l’envie de vieillir au delà de certaines limites.
Aujourd’hui, le soleil brille dans un ciel uniformément bleu et demain viendra l’orage et le vent et la pluie. Les jours se suivent et se ressemblent tant … Et sournoisement, l’ennui me guette.
Le ciel est par-dessus le toit, si bleu, si calme,
Un arbre par-dessus le toit, berce sa palme…
J’empreinte ces deux lignes à Verlaine. Il était dans sa prison quand il les a écrites, je suis dans la même situation que lui et mes yeux errent sur le parc ensoleillé du centre de rééducation. Souvent, je rêve d’une évasion, j’abandonne mon fauteuil et mes jambes me portent jusqu’à l’enclos qui emprisonne une harde de daims. Ils broutent une herbe rare dans une errance triste. Un promeneur, parfois, arrache au fossé, une poignée d’herbes folles qui font le bonheur de ces cervidés privés de leur liberté par l’homme qui s’arroge le droit de dominer, la nature, les animaux, les plantes et même ses semblables.