Et si votre vélo racontait son histoire ...

C'est plutôt "café du commerce" où l'on refait le monde.
Avatar du membre
Robert
Messages : 26762
Enregistré le : 21 janv. 2009, 20:38
Localisation : SARREBOURG
Contact :

Et si votre vélo racontait son histoire ...

Message par Robert »

Bonjour à tous.

Je ne sais plus combien de bicyclettes j'ai utilisé pour effectuer, en distance, au moins dix fois le tour de notre chère planète - quand on aime, on ne compte pas - dit-on ; ne compterai ni les bicyclettes, ni les kilomètres parcourus.

Celles de mes montures, que je n'ai pas gardées, je les ai confiées à ma progéniture, ce qui fait qu'elles restent dans mon environnement proche !

Et puis il y a les autres, celles que je continue à fréquenter ; elles ont parfois un âge canonique pour un vélo, mais je les modernise au mieux, au fil des ans. C'est le cas de LIBERTE qui m'attends sagement, pendue dans la cave minuscule de mon studio d'Embrun.

Celle-ci a une longue histoire, puisqu'elle a été à l'origine de ma passion adulte revenue soudain pour le vélocipède, la vélocipédie, le monde vélocipédique qui est redevenu le mien, dans les années 1975. Et si je vous raconte un jour la longue histoire de LIBERTE, c'est un pan de ma propre histoire que je vous conterais.

Cette idée m'est venue la semaine dernière, quand seul et nez au vent je chevauchais "LIBERTE" sur ces routes difficiles des Hautes-Alpes ; mais que la peine générée par les pentes rudes est vite oubliée, lorsque l'automne débutant allume aux flancs de la montagne ses feux végétaux multicolores, lorsque l'air est doux et si transparent qu'il semble aisé de toucher l'horizon, lorsque l'on sent monter en soi le bonheur d'être libre comme un aéronef qui aurait rompu ses amarres ...

L'idée m'est donc venue, dans ces circonstances particulières, de vous raconter l'histoire mouvementée de LIBERTE.
LIBERTE n'est pas la plus moderne de mes montures, mais sans aucun doute celle qui m'est la plus chère. Jamais je ne l'abandonnerais, elle est le reflet d'une passion et m'accompagne depuis tant de lustres ...

Voilà donc son histoire ...
(suite au prochain jour de pluie) ....
Avatar du membre
Denis
Messages : 19670
Enregistré le : 29 déc. 2008, 19:26
Localisation : Digne les bains
Contact :

Re: Et si votre vélo racontait son histoire ...

Message par Denis »

Suspense!!!!!!! :mrgreen:
Vivement qu'il pleuve! ;) (en Lorraine!)
phiphi

Re: Et si votre vélo racontait son histoire ...

Message par phiphi »

Nous voici de nouveau suspendu à tes lèvres :!: quel merveilleux conteur Robert :!:
(( je souhaite comme toi Denis qu'il pleuve au plus tôt, que ce superbe récit soit terminé avant la semaine 46 qui doit me voir " débouler " sur les routes de Lorraine, et je ne souhaite pas que se soit sous la pluie :!: ;) ))
Avatar du membre
Robert
Messages : 26762
Enregistré le : 21 janv. 2009, 20:38
Localisation : SARREBOURG
Contact :

Re: Et si votre vélo racontait son histoire ...

Message par Robert »

(suite)

Voilà, il fallait bien que cela arrive un jour en Lorraine. Aujourd'hui, il pleut, le vent est au Nord et la neige, peut-être déjà blanchit "mon" Donon. Mon horizon s'arrête aux premières collines embrumées.
............................................................................................................................................................................................................................................

Je reprends donc l'histoire de mon premier vélo.
.......
Je suis en vacances, en camping, sur l'île d'Oléron. Mes enfants sont encore de jeunes enfants et moi un papa également jeune, qui a abandonné le sport depuis une bonne décennie, fume la pipe, a pris quelques kilos. La mairie, l'église et le temps m'ont embourgeoisé. J'ai bien eu quelques velléités de reprise d'une activité sportive ... vaines.
Nous sommes en 1978.

Tous les matins j'observe depuis la fenêtre de ma caravane le départ d'un collègue campeur. Il est déguisé en coureur. Il dispose d'une machine rutilante. Il n'a besoin de personne et semble aller gaiement par monts et vaux comme un pinson, libre comme l'air, heureux ...

Ainsi naissent les désirs. Ma décision est prise. A mon retour, j'achèterai une bicyclette.

Mes vacances n'étaient pas terminées, en cette fin d'été 78, et j'avais acquis ce qui serait, beaucoup plus tard "LIBERTE".
Je connaissais bien André Wilhelm, ancien grand champion cycliste local et alors vélociste à Metz ; il me l'a trouvée, la machine de mes rêves.
C'était un "MERCIER" violine impersonnel, semblable pour la couleur à celui qu'utilisait Raymond Poulidor. Ma monture nouvelle n'avait à ce jour ni histoire ni particularité.

- Et pour les pignons ? m'avait interrogé André Wilhelm .
- J'habite un coin où les côtes sont dures ... lui avais-je répondu.
- Bon, avait affirmé mon coach improvisé, avec un 42X26 tu grimperas aux murs ...

Je dois à la vérité de dire que ce genre de braquet convenait sans doute à celui qui me l'avait conseillé, mais allait me faire comprendre très rapidement que je n'avais plus rien du sportif que j'avais été naguère !

.......

J'ai abandonné mes pipes et le tabac gris. Quelques kilos aussi avec un régime un peu plus surveillé. Cependant, mes premières expériences ressemblèrent plus au calvaire du Christ sur le Gogotha qu'aux envolées du campeur de l'Ile d'Oléron !
Et "LIBERTE" qui n'était pas encore liberté était par contre un vrai carcan !

.....

Vint alors le temps des progrès, presque fulgurants. Le club, les copains, les confrontations amicales où je ne donnais plus ma part au chat, la naissance d'une passion ...
Mais un bonheur terrestre ne saurait être parfait ...

J'en arrive à ce premier accroc.

Une année m'a donné une petite expérience et j'ai renoué avec l'ivresse des descentes folles. Avec mon copain Bernard, nous entamons la descente de Gravelotte vers Ars-sur-Moselle.
Gravelotte, petite localité de la périphérie messine, a été le théâtre d'une bataille de la guerre de 1870 ; cette bataille est restée célèbre pour la quantité d'obus que soldats français et allemands ont échangés ; est demeurée dans l'histoire l'expression populaire : "Ca tombe comme à Gravelotte !"
Cette expression est entrée dans le langage commun pour désigner, par exemple, une pluie d'orage diluvienne ...

Pour moi, ce sera également une première, une première chute mémorable.
Bernard est devant moi qui descend à tombeau ouvert. J'entreprends de remonter dans sa roue. Un virage, un camion qui survient, nous double, m'effleure du coin de sa remorque.
Mes amis, quel soleil ! j'en ai vu trente-six chandelles. Le camionneur n'a rien remarqué (ou fait semblant de ne rien voir - ça je ne le saurai jamais) et a poursuivi sa route au milieu de laquelle je demeure étalé, broyé, éraflé, déchiré, rompu mais vivant. La poignée de mon frein est entrée dans le gras de mon abdomen mais je ne sens rien. Bernard a fait demi tour. Il m'aide à me relever, à regagner le bord de la route.

Bilan :
- pour moi, une quinzaine de jours en fauteuil/télé
- pour mon beau Mercier, une petite bosse au cadre, là où l'a heurté violemment le guidon. Cette petite bosse est un cicatrice que porte aujourd'hui encore fièrement ma monture préférée.

Et si le cadre de ma chère bicyclette, au lieu du bon acier d'autrefois dont il est fait avait été de fibre de carbone, je pense que son existence se serait arrêtée sur les pentes de Gravelotte, en l'an 1979.
Il n'en a rien été et je reprendrai la suite de son histoire, bientôt.
Avatar du membre
Aline
Messages : 2135
Enregistré le : 05 juin 2009, 09:55
Contact :

Re: Et si votre vélo racontait son histoire ...

Message par Aline »

Robert,
L'histoire est palpitante et j'attends la carte météo de ce soir pour savoir s'il va pleuvoir dans ton coin :lol:

Merci pour l'explication "Ca tombe comme à Gravelotte !"
Expression que nous utilisons dans la famille et dont je ne connaissais pas la provenance.

Ton mercier m'a rappelé aussi des souvenirs puisque mon père courrait sur un mercier dans les années 54/56. Je regrette qu'il l'ai donné à un copain de travail pour son fils qui a fait des courses avec sinon me connaissant il serait en train de trôner dans le garage.
On croit que les rêves sont faits pour être réalisés. C'est le problème des rêves. Les rêves sont faits pour être rêvés.
Coluche
Avatar du membre
Denis
Messages : 19670
Enregistré le : 29 déc. 2008, 19:26
Localisation : Digne les bains
Contact :

Re: Et si votre vélo racontait son histoire ...

Message par Denis »

Du coup la météo va devenir interessante!!! Vive la pluie en Lorraine!
Avatar du membre
Tadkozh
Messages : 31671
Enregistré le : 11 avr. 2009, 07:27
Localisation : plein ouest...!!

Re: Et si votre vélo racontait son histoire ...

Message par Tadkozh »

....Gast...! quelle pirouette... :o j'ai également eu un Mercier et possède toujours un maillot "violine" avec deux poches devant...d'époque est-il besoin de le préciser, non de ces "reproductions" qui n'ont qu'un but mercantile..?
...je ne te souhaite pas la pluie mais sachant que les travaux de jardin touchent à leur fin, libérant ainsi du temps libre (sauf dictat gouvernemental.. ;) ), j'attends la suite avec fébrilité... :D

Tadkozh
Avatar du membre
Robert
Messages : 26762
Enregistré le : 21 janv. 2009, 20:38
Localisation : SARREBOURG
Contact :

Re: Et si votre vélo racontait son histoire ...

Message par Robert »

(suite) ...
Je ne dirai pas : "Voilà le crachin lorrain" . Il n'arrive pas inopinément lui qui s'est établi hier et semble se plaire ici. Et j'ai beau lui crier que sa vraie place, c'est là-bas, cap à l'Ouest, au pays de l'armor et de l'arcoat, il ne m'écoute pas.
Pour mon loisir du matin, je continue, avec l'espoir de la terminer, l'histoire que j'ai commencée hier.

..............................................................................................................................................................................................................................................

Mon beau Mercier est certes encore opérationnel après ce premier accident mais le doute s'est installé dans ma tête ; il a fait quelques loopings sur l'asphalte, une fissure maligne et invisible ne s'est-elle pas glissée sur son squelette violine qui me projettera à nouveau durement au sol ? Et puis il a cette bosse sur le tube horizontal, et ces écailles et griffures sur la peinture.
J'écoute aussi les discours intéressés des vélocistes :
- Tu verras Robert, avec le vélo machin, tu voleras !
Et j'ai écouté les sirènes stridentes de l'infidélité, acquis un superbe Eddy Merckx, relégué le blessé aux seconds rôles.
A présent, il se morfond souvent au garage et ne sors plus qu'épisodiquement, lorsque la météo est exécrable ou incertaine.

Et commence l'histoire d'une déchéance.
Mars est arrivé. Ecoutez ce qu'en dit Alfred de Musset :

"Du pauvre mois de Mars, il ne faut pas médire
Bien que le laboureur le craigne justement.
L'univers y renaît. Il est vrai que le vent
la pluie et le soleil s'y dispute l'empire
Qu'y faire ? au temps des fleurs le monde est un enfant
C'est sa première larme et son premier sourire."

Donc, en ce matin friquet de mars, je décide d'une sortie. Certes, la route est sèche mais les sautes d'humeur du temps me font opter pour le "Mercier".
Je choisis un parcours ondulé : Les courtes descentes propulsent le cycliste au sommet de la montée suivante.
Me voilà lancé, à belle allure ; encore un petit coup de rein et la bosse sera passée.
Elle ne passera pas cette bosse là. Ici, les brouillards de la nuit ont déposé sur la chaussée une invisible couche de verglas et cet endroit est maudit. Un essai de montée en danseuse et c'est la chute. La seconde de ma carrière de cycliste débutant.

Aujourd'hui, après tant d'années, lorsque le hasard me fait passer par là, j'ai une pensée émue pour mon pauvre Mercier.

La chute a été bénigne. Au sommet de la côte, ma vitesse était réduite. Je me suis relevé. Relevée ma monture, je suis reparti ...
Avant, ma bicyclette se déplaçait sans murmure ; à présent elle geint. Je continue, mais les gémissements, chuintements, puis grincements de ma bicyclette me font mettre pied à terre .... Et là, je constate les dégâts : La patte qui supporte mon dérailleur à une orientation curieuse. En y regardant de plus près, j'observe une fissure dans le métal.

Un cycliste était parti ... et c'est un piéton qui rentre !

Commence alors pour cette pauvre bicyclette, une longue détention. Reléguée au grenier, elle servira, pendant deux années de support aux araignées.

Mais l'espoir d'une immortalité que caressent les humains s'appliquerait-il aux objets ?

Nous sommes en 1982 et je viens d'acheter mon studio à Embrun. J'aimerais bien disposer là-bas d'un vélo qui resterait sous le ciel des Hautes-Alpes. Et me voilà en grande conversation avec Camille Mornet, devenu MON vélociste. C'est un artiste de la mécanique ... et du chalumeau.

- Pas de problème, Robert. Amène ta bécane, je vais m'en occuper.

Et Camille Mornet, d'un vieux Mercier blessé a fait LIBERTE.
Réémaillée, ressoudée, reconditionnée, liberté a fière allure. Elle est transformée en randonneuse.
Un photo fera bien plus qu'un long discours et m'évitera une longue description.

Au passage, je note tout de même ce paradoxe : LIBERTE, pendue 11 mois sur 12 au clou d'une cave minuscule et sombre, a une existence très proche de celle des repris de justice en quartier de haute sécurité ... Liberté est une appellation pour le moins injustifiée !
Avatar du membre
Robert
Messages : 26762
Enregistré le : 21 janv. 2009, 20:38
Localisation : SARREBOURG
Contact :

Re: Et si votre vélo racontait son histoire ...

Message par Robert »

/Users/robertdevelotte/Desktop/DSC04005.jpg
Avatar du membre
Robert
Messages : 26762
Enregistré le : 21 janv. 2009, 20:38
Localisation : SARREBOURG
Contact :

Re: Et si votre vélo racontait son histoire ...

Message par Robert »

Désolé pour la photo. Impossible de la faire passer.
Je lis, écrit en rouge :
Impossible - le nombre de pièces jointes a été atteint !
Répondre