La chute
- Robert
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Re: La chute
Oui, lolo, je m’habitue à Siri, mais il me prend beaucoup de temps !
- Denis
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Re: La chute
Robert! Continue de nous mettre ce que tu écris, c’est passionnant!
- Denis
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Re: La chute
Allez tiens, je continue de parler du grand père.
Il avait une vigne, ou il aimait aller. Devant cha que rangée, des rosiers, car sensibles au mildiou, plus que la vigne. Et donc quand le rosier commençait à montrer des signes d’infestation, le Papi traitait vite.
J’aimais le rejoindre. Il m’a appris à la tailler, à faire les fagots de sarments qui servaient ensuite à allumer le feu l’hiver. Il avait une espèce de brouette qu’il avait transformée en poêle roulant, pour bruler les déchets, et se réchauffer car la taille se fait en hiver… Je ne repérais grâce à la fumée de sa cheminée artisanale…
un jour, j’étais petit, il me dit qu’il aimerait bien mourir dans sa vigne… Du coup je faisais souvent des allers retours à la vigne pour contrôler que son souhait ne soit pas exaucé…
A l’époque des vendanges, toute la famille venait, c’était la fête, et tout le monde surveillait tonton Rolland au repas de midi, car il aimait un peu trop le vin de Papi…
Généralement le repas du midi sonnait la fin de la journée, car dans le Sud Ouest on reçoit bien. Pour l’occasion il sortait les bouteilles, tout ce qu’il faut! Et quand tonton Rolland montait « faire la sieste », c’est qu’il s’était pris un « coup de barrique ».
J’ai encore dans le nez l’odeur du chai, et je vois encore, écrites à la craie sur les tonneaux, les dates des mises en tonneau, les cubes de soufre bien rangés sur une étagère, juste à coté d’un lot de robinets en bois qui faisaient « crouic » quand on les ouvrait…
Il avait une vigne, ou il aimait aller. Devant cha que rangée, des rosiers, car sensibles au mildiou, plus que la vigne. Et donc quand le rosier commençait à montrer des signes d’infestation, le Papi traitait vite.
J’aimais le rejoindre. Il m’a appris à la tailler, à faire les fagots de sarments qui servaient ensuite à allumer le feu l’hiver. Il avait une espèce de brouette qu’il avait transformée en poêle roulant, pour bruler les déchets, et se réchauffer car la taille se fait en hiver… Je ne repérais grâce à la fumée de sa cheminée artisanale…
un jour, j’étais petit, il me dit qu’il aimerait bien mourir dans sa vigne… Du coup je faisais souvent des allers retours à la vigne pour contrôler que son souhait ne soit pas exaucé…
A l’époque des vendanges, toute la famille venait, c’était la fête, et tout le monde surveillait tonton Rolland au repas de midi, car il aimait un peu trop le vin de Papi…

J’ai encore dans le nez l’odeur du chai, et je vois encore, écrites à la craie sur les tonneaux, les dates des mises en tonneau, les cubes de soufre bien rangés sur une étagère, juste à coté d’un lot de robinets en bois qui faisaient « crouic » quand on les ouvrait…
- Robert
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Re: La chute
Merci Denis pour ce récit de tes souvenirs d’enfance. Tout le monde en a. Reste le temps à prendre pour les écrire.
Moi j’ai beaucoup de temps. Toi, tu l’as pris alors que ton temps est compté. Bravo !
Moi j’ai beaucoup de temps. Toi, tu l’as pris alors que ton temps est compté. Bravo !
- callune
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Re: La chute
Merci pour ces partages !
moi, mon enfance c'est le VELO, le vélo avec les cousins, le sirop d'anis que je mettais dans mon bidon, le Tour de France à la radio (une petite merveille que l'avait offert mon parrain) sur la plage du lac où nous allions pique niquer presque tous les jours de juillet , le tour de France à la télé dans le salon de Papy et mamie avec les cousins ...euh , y'a encore plein d'autres choses en dehors du vélo (une obsession
) quand même
, tous les livres dévorés, ma mère nous faisait aussi la lecture de l'Odyssée et de la guerre de Troie ... et un tricot obligatoire aux vacances de Pâques
'à l'école, je m'ennuyais 
Donc en premier finalement, c'est les cousins
................................................. et le vélo aussi 

moi, mon enfance c'est le VELO, le vélo avec les cousins, le sirop d'anis que je mettais dans mon bidon, le Tour de France à la radio (une petite merveille que l'avait offert mon parrain) sur la plage du lac où nous allions pique niquer presque tous les jours de juillet , le tour de France à la télé dans le salon de Papy et mamie avec les cousins ...euh , y'a encore plein d'autres choses en dehors du vélo (une obsession




Donc en premier finalement, c'est les cousins


- Robert
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Re: La chute
Un petit avant-propos. Cécile va poster ici une longue tirade que j’ai écrite à l’aide de Siri la semaine dernière. J’ai bien conscience que tout cela est bien long. Cela met par écrit et de manière fragmentaire ce qui me passe et ce qui m’est passé par la tête pendant ces longs moments d’inactivité dans une chambre du centre de rééducation de Abreschviller.
J’ai conscience du fait que ce forum n’est pas fait pour ce genre d’écrit. Comme son administrateur n’a pas prononcé mon exclusion Je continue impunément.
Avec mes plus plates excuses.
Merci Callunes pour ton résumé d’enfance ci-dessus. Tu avais tout pour faire une littéraire. Moi aussi je pense, mais ce n’est pas la voie que j’ai choisie. D’ailleurs, je n’ai pas choisi car dans les écoles normales d’instituteurs nous préparions tous un bac, « sciences expérimentales ». il m’arrive de le regretter !
J’ai conscience du fait que ce forum n’est pas fait pour ce genre d’écrit. Comme son administrateur n’a pas prononcé mon exclusion Je continue impunément.
Avec mes plus plates excuses.
Merci Callunes pour ton résumé d’enfance ci-dessus. Tu avais tout pour faire une littéraire. Moi aussi je pense, mais ce n’est pas la voie que j’ai choisie. D’ailleurs, je n’ai pas choisi car dans les écoles normales d’instituteurs nous préparions tous un bac, « sciences expérimentales ». il m’arrive de le regretter !
- Robert
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Re: La chute
Mes vacances en Saône-et-Loire.
J’ai le souvenir précis d’avoir souvent pris le train de Mulhouse où nous résidions à Tournus, ma destination.
Le train était gratuit pour moi, car mon père était cheminot, un privilège apprécié. J’avais une dizaine d’années et je voyageais seul avec une correspondance à Dijon. Je me demande si aujourd’hui on laisserait un enfant voyager seul aussi loin.
C’était le temps des locomotives à vapeur. Dans les compartiments de voyageurs, les fenêtres que l’on pouvait descendre, portaient la mention« il est dangereux de se pencher en dehors » ou, en italien «e pericoloso sporgersi». Une traduction intégrale. Je pense.
Cependant, quand j’étais seul, dans le compartiment, ce qui se produisait souvent, je baissais la fenêtre pour voir dans les virages la longue chenille du train. Cette opération ne se faisait pas sans quelques escarbilles de charbon dans mes yeux; c’était le prix d’une transgression. À toute transgression est assortie une peine !
Tournus était le terme de mon voyage. Mon oncle Henri et ma tante Andrée, m’y attendaient avec leur voiture de marque Peugeot, pour deux destinations possibles :
–soit Huilly où ils habitaient
– soit cuisery où résidaient mes grands-parents maternels.
Vacances à Huilly (Saône et Loire)
Mon oncle et ma tante (la sœurs de ma mère) s’étaient connus et mariés à la fin de la guerre. Ils habitaient une grande maison que les gens du village qualifiaient de château, en patois local, «chétieau».
Cette superbe maison ne bénéficiait encore que d’un confort relatif : les WC, par exemple étaient au fond du jardin sous la forme d’une cabane et le papier hygiénique était fait de carrés de journaux découpés qu’un clou approprié tenait à portée de l’usager !
Mais quelle belle maison ! Haute, fraîche, tout au long de l’été, avec un petit parc ombragé d’énormes conifères, avec des massifs de fleurs, entourés de buis très bas et bien taillés.
Au bout du parc, un mur, marquait la séparation entre le « château » résidentiel et une ferme bressane que mon oncle avait aménagée en atelier ; cette région, s’était spécialisée dans l’industrie de la chaise ; ainsi abondaient dans cette partie de la Bresse, nombre de petites usines de chaisiers et mon oncle avait choisi cette voie professionnelle.
Ainsi, l’espace offert par l’ancienne ferme était occupé de scies circulaires ou à ruban, de perceuses, de raboteuses, de dégauchisseuses que sais je encore. Et ces machines tournaient dans un vacarme insoutenable, et volaient la sciure et la poussière dans les rayons du soleil. Ça sentait bon le bois chaud.
On n’ imagine pas tout ce qu’il faut faire pour créer une belle chaise paillée, son bâti en bois, et le paillage de l’assise ! Il fallait chercher et sécher la lèche des marais pour le rembourrage, couper et blanchir à la fumée de soufre des fétus de paille parfaits, porter dans la campagne les bâtis de chaises aux rempailleuses qui mettaient la touche finale. Il restait à expédier à partir de la gare de Tournus les chaises emballées et préparées pour leurs destinataires.
Dans ces années 1950, la révolution automobile n’avait pas encore commencé. À l’heure du repas, alors que nous écoutions à la radio France Inter, passait parfois une conduite intérieure, objet de luxe à cette époque. C’était la voiture automobile de Monsieur le baron de la Serve qui résidait tout près, du côté de Louhans. Ce passage inopiné était l’événement du jour.
Vivait sous le toit de la grande maison, une toute petite dame que j’appelais cousine Marie. Elle était la mère de mon oncle.
Et cousine Marie n’avait pas ses deux pieds dans le même sabot. Levée avec le jour, elle courait toujours. Le jardin et la maison étaient ses domaines avec la basse-cour.
La Bresse est renommée pour ses poulets et cette renommée n’est pas usurpée. Cousine Marie choisissait parmi les volailles, un joli poulet que j’appelais« le condamné à mort». Il était mis dans une cage en bois et nourri de grains, abondamment pendant trois semaines. Dans cette immobilité complète le volatile, donnait, une fois rôti, un plat incomparable. Il faisait le bonheur des repas de famille d’ alors. L’opération de rôtissage laisse à mon nez un fumet délicieux et à mes papilles, après la dégustation, un goût incomparable.
Dans la maison qui faisait face à la résidence de mon oncle habitait« cousin Marius ».
Il faut le dire, la maison de cousin Marius avait un aspect négligé et le sureau sauvage avait envahi la cour avec quelques débris de machines agricoles, hors d’ usage et que la rouille appareilllait. Heureusement pour lui, sa fille et son gendre venaient de temps à autre pour assurer quelques tâches ménagères.
Cousin Marius avait fait la guerre, la grande guerre, celle de 14. Un éclat d’obus lui avait enlevé l’œil droit; par une chirurgie que je n’ose qualifier d’ esthétique mais qui avait été appliquée aux poilus, son œil avait été remplacé par un œil de verre, ce qui donnait au regard du cousin une fixité qui impressionnait le gosse que j’étais.
Mon oncle était un pédagogue. Il avait un grand souci : que je ne m’ennuie pas. Quand je n’étais pas occupé à de petits travaux de peinture, ou à l’atelier, mon oncle m’emmenait à la pêche et me déposait au bord de la rivière, avec le matériel halieutique nécessaire. Il avait aussi le souci de ma culture et me fournissait des livres. C’est dans la fraîcheur de sa grande maison que j’ai lu pour la première fois les aventures « de Cyrano de Bergerac ».
Mon oncle était aussi chasseur. Chasseur à l’ancienne. C’est-à-dire qu’il partait avec son fusil, son chien appelé « perdreau», et dans la campagne, dès l’ouverture en septembre, il allait carnassière au dos débusquer un lièvre, un faisan ou une perdrix. Je l’ai accompagné aux débuts de septembre alors que les grandes vacances mordaient sur ce mois. Et dans la veillée qui précédait ce grand jour, il préparait ses cartouches, en respectant la recette, tout un art. Je le vois encore prendre la cartouche en carton, y verser la dose de poudre nécessaire après pesée, bourrer cette poudre avec un cylindre textile appelé précisément « Bourre», placer la quantité de plombs de la dimension voulue et enfin sertir la munition avec une petite machine destinée à cette opération.
Et je ne vous dis pas mon plaisir quand au petit matin, mon oncle m’ appelait pour une partie de chasse sur le ban de la commune, alors que les brouillards de la nuit peinaient à se dissiper. Et qu’importe si nous rentrions bredouilles et si la carnassière que je ramenais était vide. Il avait fière allure, mon oncle, avec sa tenue de chasseur, son fusil et sa cartouchière !
Quant à ma tante André, ma mère l’avait chargée d’améliorer mon orthographe, ce qui n’était pas précisément un luxe. Souvent arrivait le douloureux moment de la dictée traditionnelle. Je l’avoue, humblement, l’exercice n’était ni fortuit ni inutile. Dois-je dire que je lui préférais la chasse ou la pêche à l’instar de mes ancêtres, les gaulois ?
……………………
Et tout là-bas, dans la vallée, la rivière « Seille », serpentait dans les vastes prairies inondables où les troupeaux pâturaient. Dans son eau trouble et mystérieuse, les grands roseaux dansaient au rythme des courants… et sur ses rives, un jeune pêcheur rêvait de carpes et de brochets.
Les soirs des chaudes journées d’été, fenêtres ouvertes et volets mi-clos j’écoutais les insectes striduler et les grenouilles coasser, magie musicale des jours finissants, je m’endormais dans sa chanson. C’était la Bresse, ma Bresse. Et je l’ai bien aimée.
Mon oncle et ma tante ont disparu.
Cher oncle Henri, enlevé prématurément à la cinquantaine, victime d’un cancer professionnel, causé par l’inhalation des gaz des vernis destinés aux chaises. Car les opérations de vernissage ne se faisaient pas à l’époque avec toutes les règles nécessaires.
Et ma tante Andrée présente dès mon enfance, puisqu’elle m’a appris « le corbeau et le renard » quand j’avais quatre ans est décédée beaucoup plus tard à un âge que l’on qualifie d’avancé. il y avait longtemps que je lui avais pardonné les dictées d’antan….
Je suis retourné voir leur maison entre l’école et l’église du village. La belle bâtisse a pris beaucoup de rides. Aujourd’hui le « chétieau» n’est plus guère qu’une ruine.
Un peu plus loin à l’ombre de l’église, sur la tombe de mon oncle j’ai senti des larmes lourdes sous mes paupières.
J’ai le souvenir précis d’avoir souvent pris le train de Mulhouse où nous résidions à Tournus, ma destination.
Le train était gratuit pour moi, car mon père était cheminot, un privilège apprécié. J’avais une dizaine d’années et je voyageais seul avec une correspondance à Dijon. Je me demande si aujourd’hui on laisserait un enfant voyager seul aussi loin.
C’était le temps des locomotives à vapeur. Dans les compartiments de voyageurs, les fenêtres que l’on pouvait descendre, portaient la mention« il est dangereux de se pencher en dehors » ou, en italien «e pericoloso sporgersi». Une traduction intégrale. Je pense.
Cependant, quand j’étais seul, dans le compartiment, ce qui se produisait souvent, je baissais la fenêtre pour voir dans les virages la longue chenille du train. Cette opération ne se faisait pas sans quelques escarbilles de charbon dans mes yeux; c’était le prix d’une transgression. À toute transgression est assortie une peine !
Tournus était le terme de mon voyage. Mon oncle Henri et ma tante Andrée, m’y attendaient avec leur voiture de marque Peugeot, pour deux destinations possibles :
–soit Huilly où ils habitaient
– soit cuisery où résidaient mes grands-parents maternels.
Vacances à Huilly (Saône et Loire)
Mon oncle et ma tante (la sœurs de ma mère) s’étaient connus et mariés à la fin de la guerre. Ils habitaient une grande maison que les gens du village qualifiaient de château, en patois local, «chétieau».
Cette superbe maison ne bénéficiait encore que d’un confort relatif : les WC, par exemple étaient au fond du jardin sous la forme d’une cabane et le papier hygiénique était fait de carrés de journaux découpés qu’un clou approprié tenait à portée de l’usager !
Mais quelle belle maison ! Haute, fraîche, tout au long de l’été, avec un petit parc ombragé d’énormes conifères, avec des massifs de fleurs, entourés de buis très bas et bien taillés.
Au bout du parc, un mur, marquait la séparation entre le « château » résidentiel et une ferme bressane que mon oncle avait aménagée en atelier ; cette région, s’était spécialisée dans l’industrie de la chaise ; ainsi abondaient dans cette partie de la Bresse, nombre de petites usines de chaisiers et mon oncle avait choisi cette voie professionnelle.
Ainsi, l’espace offert par l’ancienne ferme était occupé de scies circulaires ou à ruban, de perceuses, de raboteuses, de dégauchisseuses que sais je encore. Et ces machines tournaient dans un vacarme insoutenable, et volaient la sciure et la poussière dans les rayons du soleil. Ça sentait bon le bois chaud.
On n’ imagine pas tout ce qu’il faut faire pour créer une belle chaise paillée, son bâti en bois, et le paillage de l’assise ! Il fallait chercher et sécher la lèche des marais pour le rembourrage, couper et blanchir à la fumée de soufre des fétus de paille parfaits, porter dans la campagne les bâtis de chaises aux rempailleuses qui mettaient la touche finale. Il restait à expédier à partir de la gare de Tournus les chaises emballées et préparées pour leurs destinataires.
Dans ces années 1950, la révolution automobile n’avait pas encore commencé. À l’heure du repas, alors que nous écoutions à la radio France Inter, passait parfois une conduite intérieure, objet de luxe à cette époque. C’était la voiture automobile de Monsieur le baron de la Serve qui résidait tout près, du côté de Louhans. Ce passage inopiné était l’événement du jour.
Vivait sous le toit de la grande maison, une toute petite dame que j’appelais cousine Marie. Elle était la mère de mon oncle.
Et cousine Marie n’avait pas ses deux pieds dans le même sabot. Levée avec le jour, elle courait toujours. Le jardin et la maison étaient ses domaines avec la basse-cour.
La Bresse est renommée pour ses poulets et cette renommée n’est pas usurpée. Cousine Marie choisissait parmi les volailles, un joli poulet que j’appelais« le condamné à mort». Il était mis dans une cage en bois et nourri de grains, abondamment pendant trois semaines. Dans cette immobilité complète le volatile, donnait, une fois rôti, un plat incomparable. Il faisait le bonheur des repas de famille d’ alors. L’opération de rôtissage laisse à mon nez un fumet délicieux et à mes papilles, après la dégustation, un goût incomparable.
Dans la maison qui faisait face à la résidence de mon oncle habitait« cousin Marius ».
Il faut le dire, la maison de cousin Marius avait un aspect négligé et le sureau sauvage avait envahi la cour avec quelques débris de machines agricoles, hors d’ usage et que la rouille appareilllait. Heureusement pour lui, sa fille et son gendre venaient de temps à autre pour assurer quelques tâches ménagères.
Cousin Marius avait fait la guerre, la grande guerre, celle de 14. Un éclat d’obus lui avait enlevé l’œil droit; par une chirurgie que je n’ose qualifier d’ esthétique mais qui avait été appliquée aux poilus, son œil avait été remplacé par un œil de verre, ce qui donnait au regard du cousin une fixité qui impressionnait le gosse que j’étais.
Mon oncle était un pédagogue. Il avait un grand souci : que je ne m’ennuie pas. Quand je n’étais pas occupé à de petits travaux de peinture, ou à l’atelier, mon oncle m’emmenait à la pêche et me déposait au bord de la rivière, avec le matériel halieutique nécessaire. Il avait aussi le souci de ma culture et me fournissait des livres. C’est dans la fraîcheur de sa grande maison que j’ai lu pour la première fois les aventures « de Cyrano de Bergerac ».
Mon oncle était aussi chasseur. Chasseur à l’ancienne. C’est-à-dire qu’il partait avec son fusil, son chien appelé « perdreau», et dans la campagne, dès l’ouverture en septembre, il allait carnassière au dos débusquer un lièvre, un faisan ou une perdrix. Je l’ai accompagné aux débuts de septembre alors que les grandes vacances mordaient sur ce mois. Et dans la veillée qui précédait ce grand jour, il préparait ses cartouches, en respectant la recette, tout un art. Je le vois encore prendre la cartouche en carton, y verser la dose de poudre nécessaire après pesée, bourrer cette poudre avec un cylindre textile appelé précisément « Bourre», placer la quantité de plombs de la dimension voulue et enfin sertir la munition avec une petite machine destinée à cette opération.
Et je ne vous dis pas mon plaisir quand au petit matin, mon oncle m’ appelait pour une partie de chasse sur le ban de la commune, alors que les brouillards de la nuit peinaient à se dissiper. Et qu’importe si nous rentrions bredouilles et si la carnassière que je ramenais était vide. Il avait fière allure, mon oncle, avec sa tenue de chasseur, son fusil et sa cartouchière !
Quant à ma tante André, ma mère l’avait chargée d’améliorer mon orthographe, ce qui n’était pas précisément un luxe. Souvent arrivait le douloureux moment de la dictée traditionnelle. Je l’avoue, humblement, l’exercice n’était ni fortuit ni inutile. Dois-je dire que je lui préférais la chasse ou la pêche à l’instar de mes ancêtres, les gaulois ?
……………………
Et tout là-bas, dans la vallée, la rivière « Seille », serpentait dans les vastes prairies inondables où les troupeaux pâturaient. Dans son eau trouble et mystérieuse, les grands roseaux dansaient au rythme des courants… et sur ses rives, un jeune pêcheur rêvait de carpes et de brochets.
Les soirs des chaudes journées d’été, fenêtres ouvertes et volets mi-clos j’écoutais les insectes striduler et les grenouilles coasser, magie musicale des jours finissants, je m’endormais dans sa chanson. C’était la Bresse, ma Bresse. Et je l’ai bien aimée.
Mon oncle et ma tante ont disparu.
Cher oncle Henri, enlevé prématurément à la cinquantaine, victime d’un cancer professionnel, causé par l’inhalation des gaz des vernis destinés aux chaises. Car les opérations de vernissage ne se faisaient pas à l’époque avec toutes les règles nécessaires.
Et ma tante Andrée présente dès mon enfance, puisqu’elle m’a appris « le corbeau et le renard » quand j’avais quatre ans est décédée beaucoup plus tard à un âge que l’on qualifie d’avancé. il y avait longtemps que je lui avais pardonné les dictées d’antan….
Je suis retourné voir leur maison entre l’école et l’église du village. La belle bâtisse a pris beaucoup de rides. Aujourd’hui le « chétieau» n’est plus guère qu’une ruine.
Un peu plus loin à l’ombre de l’église, sur la tombe de mon oncle j’ai senti des larmes lourdes sous mes paupières.
- Lolo90
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Re: La chute
Merci de nous faire partager tes souvenirs d'enfance
On est vite plongé dans les années cinquante

On est vite plongé dans les années cinquante
-
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Re: La chute
Oui merci robert comme le dit lolo on a l impression en effet de voyager dans le temps
- callune
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Re: La chute
Merci Robert !
pericoloso sporgersi , je m'en souviens aussi !

pericoloso sporgersi , je m'en souviens aussi !
