La chute (suite)

Quand j'étais môme, le garde-champêtre tambourinait sur la place du village, criait alentours "Avis à la population !" pour informer et rappeler les règles.

Dans cette rubrique, quelques rappels de l'attitude Cyberpotes. Vous trouverez aussi, à l'occasion des infos destinées à tous !
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Robert
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Re: La chute (suite)

Message par Robert »

Lolo90 a écrit : 07 août 2023, 09:26 Pourtant on dit bien : araignée du soir, espoir ... :?
L'éloignement et l'espacement de leurs lettres ont fait leur travail de sape. :cry:

Satanée guerre d'Algérie :evil:
Oui, je relis ce que j’avais écrit, il y a un certain temps. Comme romancier je bats le record du plus faible nombre de lecteurs. on bat les records que l’on peut. seule la qualité compte !
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Denis
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Re: La chute (suite)

Message par Denis »

Oui mais quels lecteurs!!! :kr
Il y a quelques temps, la librairie « Le Bleuet » à Banon (que tu connais) avait fait une rencontre auteurs / éditeurs et micro éditeurs, qui ont permis à certains d’éditer des romans ou autres livres à faible tirage. Ca permet à l’auteur de distribuer (ou vendre) dans son entourage son œuvre…
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Lolo90
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Re: La chute (suite)

Message par Lolo90 »

Robert a écrit : 08 août 2023, 08:33
Lolo90 a écrit : 07 août 2023, 09:26 Pourtant on dit bien : araignée du soir, espoir ... :?
L'éloignement et l'espacement de leurs lettres ont fait leur travail de sape. :cry:

Satanée guerre d'Algérie :evil:
Oui, je relis ce que j’avais écrit, il y a un certain temps. Comme romancier je bats le record du plus faible nombre de lecteurs. on bat les records que l’on peut. seule la qualité compte !
Ne t'en fais pas pour le nombre de lecteurs, comme dit Denis c'est la qualité des lecteurs qui compte :D
Et puis je suis sûr que tu n'aimerais pas faire une séance de dédicaces à la Fnac ;)
En tout cas, tu pourrais largement te lancer dans l'écriture d'un roman.
benoit
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Re: La chute (suite)

Message par benoit »

C est un peu dommage en effet que ton talent d 'écrivain ne soit pas plus connu ,tant mieux pour nous on est des privilégiés ;lolo a raison tu devrais te lancer dans l 'écriture d un roman ça te ferait une bonne occupation
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Robert
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Re: La chute (suite)

Message par Robert »

EN ROUTE VERS L'ALGERIE



A Paris, ce huit novembre, vingt-trois heures.


Paris...Ce simple mot exerce une sorte de fascination pour le provincial qui ne connaît souvent de la capitale de son pays que la minable tour Eiffel de fonte grossièrement peinte, qu'un ancêtre chanceux, un jour , rapporta d'une pérégrination lointaine et qui trône pour l'éternité, dans la pénombre, sur une tablette d’un buffet de cuisine ou sur le manteau de la cheminée ; comme on peut aisément contester l'utilité de tels objets, fut-ce une utilité décorative, ils sont qualifiés de "ramasse-poussières".
Je suis à Paris, mon petit chevreau bleu, dans un compartiment d'un wagon des chemins de fer français de troisième classe, un wagon vert dont les sièges en lattes de bois offrent un confort sommaire. Le compartiment est bondé et nos lourds bagages encombrent non seulement les filets qui leurs sont destinés, au dessus des sièges, mais aussi les allées et couloirs. Mes compagnons de voyage lisent, dorment, rêvent. Il y a un quart d'heure que s'est ébranlé le convoi. Demain nous serons à Marseille. Pour être avec toi, je t'écris... mal, à cause des mouvements incessant du train, tangage et roulis ferroviaire qui donnent à mon stylo des trajectoires incertaines.
Comme tous les enfants de France, j'ai longtemps rêvé de cette ville mythique, de ses monuments, du jardin des plantes surtout dont une image illustrait l'un de mes premiers livres de lecture. Enfant, j'apprenais alors les gammes que l'on construit avec un abécédaire pour aller vers la lecture. Je me souviens aussi de la visite que nous fit un personnage qui demeure à mes yeux lié à l’image de la ville lumière. C’était un ami des mes Grands-parents.
Et puis il y eut le cadeau que m'offrit un jour notre "cousin Roy". En fait cet homme n'avait aucun lien de parenté avec nous. Il était une connaissance de mes grands-parents . Célibataire et sans aucune famille, il était agréable à cet élégant septuagénaire esseulé dans l'existence de posséder un foyer, fût-il d'adoption. Nous l'appelions tous "cousin Roy", Roy étant son patronyme. Qu'il était beau, notre cousin et que j'étais fier de posséder dans ma parenté un homme de cette classe! Je revois sa chevelure d'argent, ses lunettes dorées, ses vêtements d'une grande élégance, son attitude courtoise et sa voix si douce et persuasive. Il était en permanente errance, sa profession de "voyageur de commerce" l'obligeant à de perpétuels déplacements. Il en connaissait des villes, des paysages, des anecdotes! En cette année mil neuf cent quarante-six, les voitures étaient extrêmement rares et Monsieur Roy se déplaçait par le train. Ce jour là, il arriva chez nous avec un très beau bouquet de roses pour ma mère et un petit cadeau pour moi. Il savait vivre, notre cousin d'adoption! Nous connaissions alors une époque très difficile et les cadeaux étaient rares.
Nous connaissions alors une époque très difficile et les cadeaux étaient rares. Je me souviens encore de celui du "voyageur de commerce". Il venait d'une brève incursion dans la capitale et m'avait acheté une boule de verre de la taille d'un poing d'homme dans laquelle figurait en trois dimensions un paysage naïvement représenté de Paris, la butte Montmartre et le Sacré-Coeur, je crois, dominés par la célèbre tour Eiffel, le tout barbouillé de couleurs surréalistes. Lorsque je renversais ce globe pour lui rendre immédiatement son orientation normale, une neige magique inondait l'intérieur de la sphère de verre qui prenait un aspect hivernal du meilleur effet. Cette image surannée de notre ville phare est restée longtemps gravée dans ma mémoire. Dans ma tête d'adolescent, Paris resta cette carte postale en trois dimensions d'une ville assaillie par les rigueurs d'un éternel hiver. Car il me me fut pas donné de visiter la capitale à l’âge où j’aurai pu découvrir les richesse inestimables de la ville lumière. J’ai attendu longtemps avant de connaître le vrai Paris.
Et notre république m’offre le voyage aujourd’hui!

C'est ainsi que je découvre le Paris d’ aujourd'hui. Ainsi s'achève mon rêve...car jamais je n'ai reconnu le joli Paris de mon enfance, celui de la boule de cristal. Voilà la capitale aujourd’hui : Paris sale, uniforme, brumeux, froid, dur aux miséreux.
Le jour est tombé rapidement en cette fin d'après-midi. Et notre convoi cahota longtemps . Grincements aux aiguillages si nombreux et toujours des pavillons de pierres dans la grisaille de cette froide soirée. Bientôt la nuit précoce a étendu son manteau ; tandis que nous entrions dans son coeur, je n'ai perçus que l'enchevêtrement des lumières de la cité.
Gare de l'Est. Agitation. Débarquement de nos lourds paquetages. Nous sommes là, à demi-endormis sur un quai qui n'en finit pas. Humidité glaciale. Des jeunes en Gare de l’Est. Agitation. Débarquement de nos lourds paquetages. Nous sommes là, frigorifiés et à demi endormis sur un quai qui n’en finit pas. Les jeunes nous prennent à parti, comme si, portant l'uniforme, nous étions responsables des événements d'Algérie. Nous sommes un exutoire à leur agressivité, ils ont envie de casser de l'uniforme symbole de l'ordre établi. Mais ils ne sont que lapins qui s'attaqueraient au loup. Mon camarade Schmitt dont la taille avoisine les deux mètres et la masse dépasse sans doute le quintal attrape le premier qui lui tombe sous la main par le collet, le retourne comme s'il s'agissait d'une simple crêpe et lui botte si magistralement le cul que le reste de la troupe s'enfuit, non sans nous lancer quelques quolibets bien sentis dont nous n'avons que faire. Un gradé nous invite à reprendre nos énormes sacs kakis afin de nous faire embarquer, sur le parvis de la gare, dans un convoi de camions chargé de nous conduire gare d'Austerlitz. Les camions, des "GMC", américains, comme tout notre matériel, étaient bâchés, à cause de la température. Assis près de l'ouverture de la toile, j'ai vu défiler les rues de Paris à l'envers, comme les enfants en excursion qui se sont battus pour s'agenouiller sur la banquette du fond afin de regarder défiler les paysages par la vitre arrière de l'autobus. Mon champ de vision étroit, limité encore par les brumes hivernales m'ont permis d'entrevoir une ville quelconque, aux lumières artificielles pâlotes. Partout reposent des formes humaines enveloppées de guenilles, voisinant avec quelques bouteilles, et qui se chauffent aux frais de la régie des transports parisiens aux bouches malodorantes du métro. Je n'ai gardé que cette vision peu engageante de la ville lumière. L'exclusion, le chômage, la marginalité, la drogue...ces mots ne sont pas encore entrés dans notre quotidien, ils ne sont encore réalités que dans les très grandes métropoles. Et le petit provincial que je suis n'en a encore qu'une idée vague. Je viens de découvrir un monde aussi inconnu et mystérieux que l'Algérie et sa sale guerre que notre République divisée va me permettre
de côtoyer bientôt...
Changement de gare. Nouvelle destination.
J'écoute le train nouveau qui nous emporte vers Marseille. Le roulement sur le rail métallique produit un chant , marqué de chocs réguliers, comme une mélodie ponctuée du cliquetis du métronome. Le mouvement, tantôt se ralentit, s'orne de grincements au passage d'inextricables aiguillages dont j'observe les stries lumineuses par la fenêtre du compartiment, tantôt s'accélère et s'intensifie soudainement lorsque le convoi frôle le mur d'un entrepôt, d'une gare ou de la maison d'un garde- barrière. Au loin scintillent les lumières des villes, villages, hameaux et bourgs qui resteront anonymes. Je n'ai aucune idée de l'endroit où nous nous trouvons.

Tu sais, Claire, je commence à bâiller. Tout le monde dort autour de moi. Mes paupières s'alourdissent. "Le marchand de sable est passé" m'aurait soufflé mon grand père. Il voulait dire qu'il était temps de dormir, quand , enfant, je voulais à tout prix résister à l'envahissant sommeil pour écouter encore la conversation des adultes; et je m'endormais au lancinant bruissement de leurs voix.
Je sais que là-bas, très loin, dans notre chère Lorraine, tu dors à poings fermés, sans doute . Dors ma petite Claire...Demain, le jour se lèvera, en même temps, pour nous deux. Chaque jour qui passe, inéluctablement nous rapproche.
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Denis
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Re: La chute (suite)

Message par Denis »

On arrive bien à s’imaginer ces grandes « manœuvres » qui allaient te mener de nombreux provinciaux loin de chez eux… Et puis là, pas question de climatisation dans les trains, ou de sièges chauffants dans les camions qui vous transportaient…
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Robert
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Message par Robert »

Denis a écrit : 09 août 2023, 07:46 On arrive bien à s’imaginer ces grandes « manœuvres » qui allaient te mener de nombreux provinciaux loin de chez eux… Et puis là, pas question de climatisation dans les trains, ou de sièges chauffants dans les camions qui vous transportaient…
Sans doute, mais nous étions des privilégiés, si l’on compare notre situation à celle de nos prédécesseurs !
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Robert
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Re: La chute (suite)

Message par Robert »

Je reprends ma lettre après une longue interruption. Je suis à Oran. Nous attendons les camions qui nous déposeront à notre point de chute prévu. La chaleur est presque estivale ici. Mais je te raconte notre traversée.
Nous sommes arrivés dans la matinée à Marseille, gare Saint-Charles. Quelle douceur! Quel dépaysement!
Je pense au Tartarin d'Alphonse Daudet débarquant de son Tarascon natal dans la cité Phocéenne avec la même destination que la nôtre, l'Algérie. Cependant, Tartarin partait pour un pays récemment conquis, pour y exercer son sport favori, la chasse, la grandiose chasse au lion de l'Atlas dont il avait entrevu un spécimen lors du passage du cirque "Mitaine" dans sa bonne ville. Je pense à ce personnage truculent et à sa découverte de la mégapole de Provence si bien décrite par Alphonse Daudet. Ville chaude, méditerranéenne jusqu'à la plus reculée de ses impasses, ville chargée d'une si longue histoire, pleine de rumeurs, d'odeurs, d'air marin et de poussières, cosmopolite et grouillante, dominée par la statue de sa Sainte protectrice, Notre Dame de la Garde.
Nous avons traversé la ville de Marseille comme nous avons traversé Paris, presque sans voir la ville. Nous n'avons fait que la respirer un instant avant de nous retrouver sur les quais du port, devant un bateau qui m'a semblé démesuré. Le "Sidi Ferruch" est un vieux bâtiment, dont je me demande s'il tiendrait une traversée d’un océan. De toutes façons, la compagnie maritime qui l'exploite ne pourrait l'utiliser à un autre usage que le transport de militaires du contingent pour lesquels on n'a pas de soucis de confort.
J'ai observé avec amusement le long ruban de troufions qui forme une file continue et sans cesse alimentée par des camions; Il avance incertain, avec des méandres inattendus, justifiés ici par un amas de cordages ou de caisses, là par un engin de levage. Son imperceptible moutonnement divague , de l'extrémité du quai jusqu'à la passerelle du "SIDI FERRUCH" dont l'étrave d'acier noir domine les quais.
On peut suivre encore la progression de la colonne derrière les bastingages du navire imperturbablement immobile et qui avale sa cargaison comme un insatiable monstre. Je suis un élément de ce troupeau, un élément sans importance, anonyme et qui avance à pas mesurés vers son incontournable destin. J'ai à ce moment le sentiment que l'on éprouve devant l'inéluctable, ce que doit éprouver l'alpiniste accroché à la paroi verticale d'une falaise au moment où il dévisse et qu'il amorce une chute dont il connaît l'issue. Pour moi, le chemin est interminable et j'ignore ce que sera l'issue de ma chute, le bout du chemin que je n'ai pas choisi. En attendant j'avance, porté par la multitude.
D'un pas de côté, je m'extrais de temps à autre de ce lent défilé quand, pour une raison qui m'échappe, il s'arrête un instant. Je l'observe alors; j'imagine qu'il m'est étranger, que je vis dans un mauvais rêve qu'une aube prochaine effacera.
Je pense au troupeau qui partait vers les alpages et que j'avais suivi, il y a quelques années sur la route du col d'Allos, dans les Alpes de Haute Provence. Le soleil de juillet avait chauffé à blanc routes et rocs. L'horizon en tremblait, en lignes incertaines et mouvantes. La route escaladait la montagne et la foule animale suivait ses méandres, sans état d'âme; d'instinct, l'animal fait confiance au berger qui le conduit.
En tête trottait le bouc , rendu vénérable par son âge sans doute, par sa haute taille et aussi par l'impressionnante ramure torsadée à son front dressée et qu'il portait de manière altière. Suivait la foule ondulante et infinie des moutons, sans cesse canalisée par la vigilance des deux chiens noirs ébouriffés que commandait un seul berger, sa veste élimée posée sur l'épaule, humanoïde sans âge, comme sorti des maquis méditerranéens de l'Illiade ou de l'odyssée. Ces paysages, ces animaux et cet homme avaient-ils franchi des millénaires, invulnérables aux atteintes de la modernité, éternels?...
Ainsi sommes-nous montés à bord du "Sidi Ferruch", mûs par le simple instinct grégaire qui régit souvent les gestes et déplacements du monde animal et de l'humanité. Nos bergers et nos chiens nous étaient si semblables que nous les avions oubliés, oublié aussi l'état d'hommes libres. Inconscients prisonniers de la "culture" dont l'armée nous avait imprégné pendant de longs mois, nous avancions...

Bien vite je me suis retrouvé dans l'entrepont, avec beaucoup d'autres moutons pour voir dans un assourdissant bruit de sirène s'éloigner la haute silhouette de Notre Dame de la Garde et le feston coloré des côtes de mon cher pays...


Un instant encore, j'ai rêvé; l'horizon sinueux et nimbé de brumes de nos montagnes, notre pays si vert de forêts profondes, nos étangs cernés de leurs mystérieuses roselières où les oiseaux des rivages cachent leurs amours au printemps, les aubes douces, les brises et les brumes, tout cela s'éloignait, pour longtemps.
Daniel est resté en France. Il sera opéré dans le mois, à l'hôpital Cochin. Je me demande si je le reverrai un jour...Il m'a dit souvent son allergie à l'écriture; je sais qu'il ne m'écrira pas. Ainsi vont les amitiés, éphémères.
A bord du Sidi Ferruche, j'ai partagé ma cabine avec un garçon qui m'a immédiatement été sympathique. Nous sommes affectés à la même unité basée à Saïda, le 453 ème groupe d'artillerie anti-aérienne. En fait d'artillerie, il s'agit d'une unité utilisée au quadrillage du territoire, au même titre que les unités d'infanterie. Nous ne disposerons, que de simples mitrailleuses, celles-là même qu'utilisaient les américains en 1945. Christian est comédien, exerce ses talents au sein d'une troupe appelée "le rideau rouge", dans le neuvième arrondissement de Paris. Il est d'agréable compagnie.
La nuit est tombée mon petit chevreau bleu. Je suis allongé sur ma couchette, balancé imperceptiblement et bercé par le lancinant ronflement des moteurs du "Sidi Ferruch". Je vais m'endormir et tu ne quitteras pas mes pensées; je vais ouvrir toute grande la porte de notre armoire à souvenir.
..........................................................................................................
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Lolo90
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Message par Lolo90 »

La grande traversée a commencé ..
Toujours admirablement écrit Robert :P
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Robert
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Re: La chute (suite)

Message par Robert »

CHAPITRE 6



SOLEILS ORANAIS



Tout leur était apparu bleu, ciel et mer, ou ocre, sol et poussière soulevée par les sautes d'humeur soudaines et imprévisibles du vent. Il était neuf heures du matin. Un sergent s'approcha du groupe de jeunes hommes en armes rassemblés dans la cour de la caserne, lieu de transit, plaque tournante pour la distribution des soldats à leurs unités de destination. Au sommet du mât blanc claquait le drapeau tricolore et le câble métallique qui servait à le hisser cognait au mât comme drisses de voiliers amarrés au port..
- Nous allons faire un appel cria le sergent. Vous êtes affectés au 453 ème Groupe d'Artillerie Aérienne de Saïda. Le départ du convoi est prévu à dix heures. Votre sécurité sera assurée au sol par deux half-tracks armés d'affût quadruples de mitrailleuses. En cas de difficulté, la base aérienne d'Oran est en alerte et pourrait intervenir presque instantanément. A Sidi Bel Abbès, vous recevrez le renfort d'un convoi de la légion dont la destination est Colomb-Béchar. Une reconnaissance du parcours par les hélicos a été assurée ce matin. Bonne route, les gars. Vous pouvez embarquer dans les GMC.

- Zora à Charlie, me recevez-vous? Parlez.
- Charlie à Zora. Je vous reçois cinq sur cinq. Restons en liaison radio permanente avec vous. Bonne route.
On s'assure de la qualité des liaisons radio entre le convoi qui va être amené à franchir des zones où la sécurité n'est pas totale, la base aérienne qui interviendrait en urgence en cas de difficulté et la garnison de la Légion Etrangère de Sidi Bel Abbès. Le matériel radio est embarqué dans la jeep du chef de convoi.
Pierre Desarmoises et Christian Bercourt sont installés côte à côte sur le double banc qui occupe le milieu de la benne du premier des quatre camions, vieux GMC repeints aux couleurs majoritaires dans leur pays d'opération. Outre la jeep du chef de convoi, les camions sont précédés et suivis d'un véhicule blindé. Les soldats y sont assis en deux rangs, dos à dos. On leur a distribué armes et munitions. Les bâches des véhicules sont relevées et ils sont disposés de manière à pouvoir à tout instant sauter du camion en cas de nécessité. On leur a enseigné la manière de gicler vers les fossés dans le cas d'une embuscade tendue par les résistants algériens. Le convoi traverse la ville en pleine activité. Cependant, la présence de l'état de guerre transparaît partout. Des militaires armés, en tenue de combat sont postés à tous les carrefours. Dans les quartiers "pieds- noirs", on se croirait à Marseille, à Nîmes ou Montpellier : Des immeubles blancs, des rues encombrées de voitures, des magasins et des gens vêtus à l'européenne. Cependant, cet aspect familier disparaît très vite pour faire place à des paysages urbains dépaysant, de carte postale. La longue djellabah remplace le costume à l'européenne et les femmes, tout de blanc vêtues, tiennent le voile qui les couvre suivant une technique qui leur laisse un oeil ouvert sur la route qu'elles suivent. Le convoi traverse une casbah. Des artisans travaillent sur les trottoirs, devant leurs boutiques délabrées. Des hommes sont assis, à même le sol, là où l'ombre apporte sa fraîcheur. Ont-ils jamais eu un travail? Il fait une chaleur de mois d'août et c'est pourtant le règne de novembre.
Puis, c'est la campagne, de maquis et de forêts. Pierre est frappé par les tons du paysage. Ocre, tout est ocre, à perte de vue. La végétation existe, mais elle se cantonne là où l'humidité parvient à donner un minimum vital aux arbres et aux buissons épineux. Les fonds encaissés sauvegardent leur verdure, les sommets l'ont perdue et la caillasse règne là, écrasée de soleil.

Pierre a hâte de trouver un havre, un environnement où il sera connu, reconnu, disposera d'un lit, d'une table, d'une adresse où il pourra vivre plusieurs jours au même endroit afin de recevoir, enfin, la première lettre de Claire. Cela fait six longues journées qu'il a quitté le quartier Elseneur, six jours qu'il erre avec ses compagnons tantôt sur terre, tantôt sur mer, par train , bateau ou camion entre son point de départ allemand et sa destination algérienne. Le convoi a traversé la blanche et proprette ville de Pérégaux puis le berceau de la légion étrangère, Sidi Bel Abbès.Tandis que le lourd G.M.C. cahote sur une mauvaise route, bordée d'arbres, Pierre constate que le convoi vient d'entrer dans une petite ville enchâssée dans les montagnes. Saïda. Saïda, porte de l'Atlas , sur la route lointaine qui se perd aux sables du Sahara jusque la lointaine Colomb- Béchar où coule le précieux pétrole que Pierre soupçonne d'être une motivation à la guerre engagée par la France. Saïda aux parfums si troublants de l'Algérie profonde, si attachante sous-préfecture rurale, où il avait fait si bon vivre avant les "évènements".
Le convoi se dirige vers la caserne où est basée le 453 groupe d'artillerie anti-aérienne. En fait, ne demeure à Saïda que l'Etat-Major du régiment avec une compagnie. Les autres unités ou sections, dites combattantes sont réparties sur un vaste territoire et sont stationnées dans des fermes isolées, depuis longtemps abandonnées par leurs propriétaires pieds-noirs. Bref arrêt, répartition des nouveaux venus vers les points de chute qui leurs sont distribués.
Pierre et Christian sont affectés à la troisième compagnie, stationnée à Aïn Balloul. Cette association de deux mots encore inconnus recouvre une réalité que Pierre découvrira dans moins d'une heure.
Le convoi qui se réduit à un seul GMC accompagné d'un véhicule blindé et d'une jeep s'arrête enfin dans la cour d'une "ferme". Il y a déjà longtemps que les militaires ont investi les lieux et cette ancienne exploitation agricole a l'importance qu'avaient les "villas" au temps de la Gaule Romaine. Elle est à elle seule un village. Devant la porte, un arbre énorme est habité par les cigognes, infatigables voyageuses qui des marais alsaciens émigrent sur les chotts des hauts plateaux algériens pour éviter l'hiver européen.
Pierre apprendra bientôt aussi, à son grand étonnement, que les cigognes ne sont pas les seules ambassadrices de l'Alsace en Algérie. Les alsaciens sont très présents ici. Leurs implantation date de la fin de la guerre de 1870. Chassés de leur sol par l'occupation allemande, ils se sont établis dans la colonie lointaine, ont apporté avec eux leur esprit d'entreprise, leur goût de la chasse au sanglier, leur charcuterie réputée.
Une porte monumentale donne accès à une vaste cour presque carrée, enserrée de bâtiments divers. Le convoi franchit l'entrée de la ferme dans un nuage de poussière blanche et s'immobilise au centre de la cour. Ils sont quinze "bleus" à reprendre contact avec la terre ferme. Ils sont accueillis par le lieutenant commandant la place et... par quelques quolibets des anciens qui s'apprètent, grâce à cet arrivage de nouveaux, à repartir vers la métropole. "A nous la quille, les bleus, à vous, les djebels et la chasse aux fells! Vous n'êtes pas dans la merde, les gars!"
Les arrivants se sont alignés, vaguement, et le lieutenant prend la parole. Au premier coup d'oeil, Pierre remarque qu'on est loin de l'ordre militaire rigoureux du quartier Elseneur. Les soldats qui vaquent où traînent dans la cour sont en tenue de combat kaki ou camoufflée des commandos, mais le débraillé règne en maître, treillis, coiffures, chaussures sont disparates et personne ne semble s'en soucier. Le lieutenant a pris la parole.
- "Je suis heureux de vous accueillir dans les cantonnements de la troisième batterie dont j'assume le commandement. Je prendrai contact plus tard, avec chacun d'entre vous et vous indiquerai la mission qui vous sera confiée. Je suis sûr, qu'ensemble, nous ferons du bon travail. Le sergent Carrier va vous indiquer où vous allez loger, provisoirement, avant votre affectation définitive sur le terrain.
Sergent, à vous. : ..."
- "Arrivez, les bleus, suivez-moi. En attendant, vous serez logés dans la grange, hommes de troupe et sous-officiers; c'est provisoire, le lieutenant vous l'a dit."

Pierre, à présent, jette un coup d'oeil sur ce monde étrange qui l'entoure. La troisième batterie occupe une ferme que l'armée a aménagée et modifiée au fil des années et des nécessités de la guerre. Car Pierre prend rapidement conscience d'un détail qu'il avait presque oublié: Il est en Afrique du Nord. Il n'est pas là pour un voyage d'études ou touristique, il est là pour apporter sa contribution aux opérations de pacification d'un territoire qu'il convient, en dépit des leçons d’une histoire récente après la déconvenue indochinoise, de conserver dans le giron de la mère patrie. Et se sont succédés ici bien des contingents de petits soldats, comme lui, qui ont donné une année ou plus de leurs jeunes existences afin que vive la République ou, du moins, qu'en soit réalisé les desseins, souvent obscurs et secrets en cette période troublée.
Tout autour des bâtiments anciens de la "ferme", abandonnée depuis longtemps par la famille des "colons" qui l'avait mise en valeur, les militaires français ont édifié un mur de pierres, Dieu sait que le pays n'en manque pas. Ce mur continu, à hauteur d'épaules d'un homme moyen, constitue un chemin de ronde semblable à celui qui courait au faîte des enceintes des châteaux - forts du Moyen-âge, à la différence que celui-ci est au ras du sol. Il permet aux sentinelles qui veillent, de jour comme de nuit sur la sécurité des hommes de la compagnie. A l'Est et à l'Ouest se dressent deux tours de guet de pierres maçonnées. Des auvents couverts de tôles abritent les guetteurs du soleil et des intempéries. Au centre de la cour, des hangars métalliques ont été dressés pour abriter les véhicules.
Pierre s'arrête à l'entrée de la grange. Le sergent les introduit dans une pièce aménagée en dortoir; les murs sont badigeonnée de chaux blanche; une batterie de lavabos occupe le fond de la pièce.
- Voilà, dit le sergent. Vous êtes arrivés...Il est trois heures, dit-il en consultant sa montre. Vous avez quartier libre. La bouffe, c'est à dix-neuf heures. Jusque là, vous faîtes ce que vous voulez, vous pouvez même vous laver si le coeur vous en dit, vous avez du pot. Ici, la flotte, c'est à volonté! Ah! j'allais oublier : les chiottes, c'est dans la cahute en tôle, près de la tour Est... A bientôt...


Pierre est rompu, flasque ; sa tête est vide. Il jette son paquetage poussiéreux à côté d'un lit qu'il n'a pas eu le temps de choisir. D'ailleurs, comment le choisirait-il puisqu'il ne connaît rien du monde nouveau qui l'entoure. Il aurait voulu s'installer à côté de Christian mais ça n'a pas été possible car certaines places ont déjà un occupant attitré. Il observe que le lit qui se trouve sur sa droite est occupé, par un ancien, ce qui peut être utile. Lorsque ce dernier reviendra au bercail, Pierre se propose de l'interroger sur la vie dans le coin. En attendant, il se jette tout habillé sur le lit après avoir glissé paquetage et pistolet mitrailleur sous sa couche. Il est allongé sur le dos, les mains glissées sous la nuque, les jambes délicieusement étendues. Ses yeux sont ouverts, sur les poutres qui soutiennent un plancher, au dessus de lui. Des hirondelles y avaient autrefois construit leurs nids qui semblent abandonnés aujourd'hui. Des toiles d'araignées, alourdies de poussières frissonnent au léger courant d'air généré par la fenêtre ouverte. L'une d'elle, réduite à un long fil noir se balance, sombre oriflamme...Il s'amuse de ces imprévisibles ondulations de danseuse maure
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