
La chute (suite)
- Lolo90
- Messages : 18309
- Enregistré le : 17 juil. 2017, 08:39
- Localisation : Belfort (90)
- Contact :
- phiphi76
- Messages : 11674
- Enregistré le : 31 oct. 2010, 10:57
- Contact :
Re: La chute (suite)
Perso, je suis moins optimiste que toi Lolo, en effet, je redoute une mauvaise réaction de Pierre, ou un mauvaus coup des fels !
@ cyberpotes + !
@ cyberpotes + !
- Denis
- Messages : 19667
- Enregistré le : 29 déc. 2008, 19:26
- Localisation : Digne les bains
- Contact :
Re: La chute (suite)
Suspense…
- Robert
- Messages : 26758
- Enregistré le : 21 janv. 2009, 20:38
- Localisation : SARREBOURG
- Contact :
Re: La chute (suite)
CHAPITRE 8
Vie d’un regroupement
Indolente Algérie sans cesse rappelée
à l'ordre par la règle gauloise, jardin
mirifique suspendu entre deux civilisations,
ainsi tu fus mienne et ainsi tu es morte.
Lucien Adès.
VOUS AVEZ DIT PACIFICATION?
Une vie nouvelle avait commencé pour Pierre. Il allait être plongé pour un temps dans un monde qui lui serait d’abord complètement étranger. Il allait, peu à peu se fondre dans le regroupement créé de toutes pièces par l’armée française. Dans les premiers jours, Pierre se laissa guider par Mohamed; il parcourut les allées, entre les khaïmas, les tentes de laine sagement alignées, afin de faire connaissance avec la géographie particulière de ce douar artificiel et avec ses habitants. Il eut très rapidement de multiples occasions de séjourner sous ces demeures. Plus ou moins vastes selon la fortune et le nombre des résidents, les tentes étaient compartimentées par des cloisons de laine. On ne faisait qu’apercevoir dans l’ombre les silhouettes incertaines des femmes tandis qu’on buvait le thé ou le café avec le chef de famille entouré de ses proches, frères, fils, petits fils ou neveux. Mohamed servait souvent de traducteur à Pierre car l’arabe est la langue parlée prioritairement sous les tentes.
Le thé à la menthe relève d’un cérémonial mystérieux et convivial. Les hôtes sont assis en cercle, sur des couvertures ou des tapis autour du plateau de métal ciselé qu’une femme silencieuse a furtivement apporté; la théière brûlante règne sur une troupe de petits verres cylindriques.
Le pain de sucre n’est pas loin, dont on cassera des fragments inégaux qui serviront à sucrer le thé. Pierre s’est vite habitué à cette boisson si sucrée qu’elle en est presque un sirop. Il revient à l’hôte de verser le thé fumant dans les verres. Il élève la théière très haut, et le filet sirupeux remplit les verres. On peut alors parler...
Pierre fit un premier travail de recensement, qui lui prit plusieurs jours et lui imposa d’aimer beaucoup le thé. Il apprit ainsi à connaître tous les chefs de famille du regroupement, ses seuls interlocuteurs, pour établir un fichier à peu près à jour de la population.
Puis il entreprit d’ouvrir l’école, une école des temps héroïques, dans les conditions que connurent en d’autres lieux sans doute les hussards noirs de la république. De matériel, point. Des effectifs fluctuants. Un tableau qui avait été noir et sur lequel rayures et écailles se taillaient la part du lion. Quelques précieux bâtons de craie arrivés sans tambours ni trompettes avec les quelques livres et cahiers débarqués un beau matin du GMC assurant la liaison entre Aïn Balloul et Saïda et qui vinrent compléter l’équipement de la classe.
La richesse de cette dernière était sans conteste ses élèves. Il n’y eut que très peu de fillettes à l’école, le savoir étant réservé aux garçons, usage tacite contre lequel il eut été inconvenant de lutter. Pierre s’en accommoda et ne tenta rien pour inverser cet héritage d’une civilisation à laquelle il se sentait encore bien étranger. Encore eut-il fait un essai que Mohamed l’aurait convaincu d’abandonner rapidement cette ambition à ses yeux sans intérêt, de donner un savoir aux filles! Pierre se contenta donc de dispenser la connaissance à une grande majorité de petits garçons. Les capacités à comprendre et enregistrer les connaissances de son nouvel auditoire le surprirent à maintes reprises. Peu à peu, l’école fit partie du regroupement comme le service de l’état-civil ou le dispensaire médical du docteur Khan.
Tout fonctionna sans heurts et l’école ressembla bientôt à celle de tous les villages. Arroubange en Sud-Oranais.
Ce jour là, il pleuvait et le vent chassait les lambeaux noirs des nuages. La pluie avait griffé les vitres des fenêtres closes et rempli les larges flaques d’eau des allées de terre battue. Par moment même, la pluie s’était transformée en neige qui avait blanchi un instant les sommets du djebel. Les plateaux de l'Atlas connaissent un hiver, fugace sans doute, mais parfois vigoureux et qui arrive avec le mois de décembre, sans crier gare. Il arrive sur des paysages où on ne l'attend pas comme si un peintre inexpérimenté s'étant trompé de palette avait utilisé les teintes de la lorraine pour peindre le djebel.
Tous les jours, Djamila venait à l'école. Elle avait dix ans, une belle chevelure sauvage frisée et noire, le teint mat, les yeux rieurs. La guerre, elle n'avait jamais connu que ça, alors, comment aurait-elle pu percevoir la possibilité de vivre autrement que confinée dans le triste alignement des tentes sombres; elle avait grandi comme une plante adventive des plateaux arides l'artificielle tristesse du regroupement dans lequel les "évènements" l'avaient confinée. Nomadisme et sédentarité... Elle était née nomade; pour favoriser ses desseins dominateurs, la République Française avait sédentarisé ses parents par la force. Le résultat était là, et nous renvoyait cette image désolante, uniforme et à peine salubre du "regroupement".
Si elle était née en Lorraine, elle aurait eu des nattes, une jolie robe à fleurs, des escarpins légers, un joli sac d'école multicolore, des crayons et des cahiers. Elle aurait été promise à un avenir brillant d'enseignante, de médecin, de journaliste peut être... Mais voilà, elle était née sur les hauts plateaux de l'Atlas Tellien. Son intelligence vive serait à coup sûr gâchée, sacrifiée sur l'autel d'une religion dont les préceptes sont interprétés à dessein dans l'acceptation la plus rétrograde; quant à ses conditions de vie, particulièrement défavorables, elles ne seraient jamais sans doute qu'à la limite de la survie
Vie d’un regroupement
Indolente Algérie sans cesse rappelée
à l'ordre par la règle gauloise, jardin
mirifique suspendu entre deux civilisations,
ainsi tu fus mienne et ainsi tu es morte.
Lucien Adès.
VOUS AVEZ DIT PACIFICATION?
Une vie nouvelle avait commencé pour Pierre. Il allait être plongé pour un temps dans un monde qui lui serait d’abord complètement étranger. Il allait, peu à peu se fondre dans le regroupement créé de toutes pièces par l’armée française. Dans les premiers jours, Pierre se laissa guider par Mohamed; il parcourut les allées, entre les khaïmas, les tentes de laine sagement alignées, afin de faire connaissance avec la géographie particulière de ce douar artificiel et avec ses habitants. Il eut très rapidement de multiples occasions de séjourner sous ces demeures. Plus ou moins vastes selon la fortune et le nombre des résidents, les tentes étaient compartimentées par des cloisons de laine. On ne faisait qu’apercevoir dans l’ombre les silhouettes incertaines des femmes tandis qu’on buvait le thé ou le café avec le chef de famille entouré de ses proches, frères, fils, petits fils ou neveux. Mohamed servait souvent de traducteur à Pierre car l’arabe est la langue parlée prioritairement sous les tentes.
Le thé à la menthe relève d’un cérémonial mystérieux et convivial. Les hôtes sont assis en cercle, sur des couvertures ou des tapis autour du plateau de métal ciselé qu’une femme silencieuse a furtivement apporté; la théière brûlante règne sur une troupe de petits verres cylindriques.
Le pain de sucre n’est pas loin, dont on cassera des fragments inégaux qui serviront à sucrer le thé. Pierre s’est vite habitué à cette boisson si sucrée qu’elle en est presque un sirop. Il revient à l’hôte de verser le thé fumant dans les verres. Il élève la théière très haut, et le filet sirupeux remplit les verres. On peut alors parler...
Pierre fit un premier travail de recensement, qui lui prit plusieurs jours et lui imposa d’aimer beaucoup le thé. Il apprit ainsi à connaître tous les chefs de famille du regroupement, ses seuls interlocuteurs, pour établir un fichier à peu près à jour de la population.
Puis il entreprit d’ouvrir l’école, une école des temps héroïques, dans les conditions que connurent en d’autres lieux sans doute les hussards noirs de la république. De matériel, point. Des effectifs fluctuants. Un tableau qui avait été noir et sur lequel rayures et écailles se taillaient la part du lion. Quelques précieux bâtons de craie arrivés sans tambours ni trompettes avec les quelques livres et cahiers débarqués un beau matin du GMC assurant la liaison entre Aïn Balloul et Saïda et qui vinrent compléter l’équipement de la classe.
La richesse de cette dernière était sans conteste ses élèves. Il n’y eut que très peu de fillettes à l’école, le savoir étant réservé aux garçons, usage tacite contre lequel il eut été inconvenant de lutter. Pierre s’en accommoda et ne tenta rien pour inverser cet héritage d’une civilisation à laquelle il se sentait encore bien étranger. Encore eut-il fait un essai que Mohamed l’aurait convaincu d’abandonner rapidement cette ambition à ses yeux sans intérêt, de donner un savoir aux filles! Pierre se contenta donc de dispenser la connaissance à une grande majorité de petits garçons. Les capacités à comprendre et enregistrer les connaissances de son nouvel auditoire le surprirent à maintes reprises. Peu à peu, l’école fit partie du regroupement comme le service de l’état-civil ou le dispensaire médical du docteur Khan.
Tout fonctionna sans heurts et l’école ressembla bientôt à celle de tous les villages. Arroubange en Sud-Oranais.
Ce jour là, il pleuvait et le vent chassait les lambeaux noirs des nuages. La pluie avait griffé les vitres des fenêtres closes et rempli les larges flaques d’eau des allées de terre battue. Par moment même, la pluie s’était transformée en neige qui avait blanchi un instant les sommets du djebel. Les plateaux de l'Atlas connaissent un hiver, fugace sans doute, mais parfois vigoureux et qui arrive avec le mois de décembre, sans crier gare. Il arrive sur des paysages où on ne l'attend pas comme si un peintre inexpérimenté s'étant trompé de palette avait utilisé les teintes de la lorraine pour peindre le djebel.
Tous les jours, Djamila venait à l'école. Elle avait dix ans, une belle chevelure sauvage frisée et noire, le teint mat, les yeux rieurs. La guerre, elle n'avait jamais connu que ça, alors, comment aurait-elle pu percevoir la possibilité de vivre autrement que confinée dans le triste alignement des tentes sombres; elle avait grandi comme une plante adventive des plateaux arides l'artificielle tristesse du regroupement dans lequel les "évènements" l'avaient confinée. Nomadisme et sédentarité... Elle était née nomade; pour favoriser ses desseins dominateurs, la République Française avait sédentarisé ses parents par la force. Le résultat était là, et nous renvoyait cette image désolante, uniforme et à peine salubre du "regroupement".
Si elle était née en Lorraine, elle aurait eu des nattes, une jolie robe à fleurs, des escarpins légers, un joli sac d'école multicolore, des crayons et des cahiers. Elle aurait été promise à un avenir brillant d'enseignante, de médecin, de journaliste peut être... Mais voilà, elle était née sur les hauts plateaux de l'Atlas Tellien. Son intelligence vive serait à coup sûr gâchée, sacrifiée sur l'autel d'une religion dont les préceptes sont interprétés à dessein dans l'acceptation la plus rétrograde; quant à ses conditions de vie, particulièrement défavorables, elles ne seraient jamais sans doute qu'à la limite de la survie
- Lolo90
- Messages : 18309
- Enregistré le : 17 juil. 2017, 08:39
- Localisation : Belfort (90)
- Contact :
Re: La chute (suite)
Pierre est confrontée à la culture du pays.
Est-ce que cela a changé de nos jours quant à l'éducation des filles ?
Dans certains pays musulmans oui, mais d'autres malheureusement non
Est-ce que cela a changé de nos jours quant à l'éducation des filles ?
Dans certains pays musulmans oui, mais d'autres malheureusement non

- Robert
- Messages : 26758
- Enregistré le : 21 janv. 2009, 20:38
- Localisation : SARREBOURG
- Contact :
Re: La chute (suite)
Sur le pas de la porte de "son" école, Pierre discutait avec le deuxième CST Kahn, médecin diplômé de la faculté de Clermont-Ferrand. Ils allaient, tous deux de concert réintégrer l'espace militaire de la ferme d'AÏn Balloul.
Un cri. Un hurlement. Un choc mou. Le miaulement fumeux des freins. La jeep immobilisée des gendarmes de Frenda.
Le corps étendu sur le sol de Djamila, inerte, le visage tuméfié et ensanglanté. Elle repose sur son dos, petit pantin désarticulé, un bras replié sur ses seins naissants.
- Mohamed, Ali, allez prendre la civière dans le dispensaire ordonne le Docteur Kahn!
Djamila a été transportée tant bien que mal sur la table du dispensaire. La nouvelle de l'accident s'est répandue dans le regroupement comme une traînée de poudre. Sa maman qui vient d'entrer dans la salle exigüe hurle son désespoir. Kahn a examinée Djamila.
- Pierre, il n'y a plus rien à faire. Elle est morte.
Pierre est atterré. Il l'aimait bien sa petite Djamila. Elle était si gaie, si franche, si intelligente, si sensible et si douce.
Penauds, les deux gendarmes de Frenda se tiennent à distance. Ils passent sur cette route, trois fois par semaine, à tombeau ouvert. Ce n'est pas le leur de tombeau qu'ils ont ouvert
aujourd'hui, mais celui d'une toute petite fille qui n'aura connu de la vie que guerre et misère. Allez comprendre les desseins de Dieu... ou d'Allah.
Pendant que les parents, oncles, frères et soeurs enlèvent le corps, les gendarmes sont entrés dans le local administratif du camp.
- Bien, dit le plus âgé des deux, nous allons passer au PC de la compagnie pour la déposition. Puis, s'adressant à Pierre: Vous allez venir avec nous pour le témoignage.
- Mais je n'ai rien vu, rétorque Pierre.
- Quelle importance? De toutes façons, personne n'a rien vu. Cette petite a traversé la route sans regarder. Ah! Ces gens là! Je me demande si on parviendra un jour à leur inculquer un peu de civilisation!
- Allez-y... De toutes façons, votre vérité sera la vérité lâche Pierre d'une voix lasse.
Pierre s'est gardé d'intervenir dans le compte-rendu de l'accident.
Djamila a disparu, portée en terre par les siens. Les gendarmes ont fait leur déposition. Celle-ci a été transmise à Saïda, sans le témoignage de Pierre qui a refusé logiquement de participer à la rédaction et de signer le rapport d'accident dont il n'avait vu que les conséquences.
"L'incident" fut classé sans suite.
Que vaut la vie d'une enfant de nomade en temps de guerre? Rien, sans aucun doute et de cela, Pierre peut en témoigner.
Pierre est à présent en congé de ses fonctions d'enseignant. En fait, il s'agit d'une première sanction. Il retrouve donc pour un temps ses fonctions de militaire du contingent affecté au "maintien de l’ordre.
Un cri. Un hurlement. Un choc mou. Le miaulement fumeux des freins. La jeep immobilisée des gendarmes de Frenda.
Le corps étendu sur le sol de Djamila, inerte, le visage tuméfié et ensanglanté. Elle repose sur son dos, petit pantin désarticulé, un bras replié sur ses seins naissants.
- Mohamed, Ali, allez prendre la civière dans le dispensaire ordonne le Docteur Kahn!
Djamila a été transportée tant bien que mal sur la table du dispensaire. La nouvelle de l'accident s'est répandue dans le regroupement comme une traînée de poudre. Sa maman qui vient d'entrer dans la salle exigüe hurle son désespoir. Kahn a examinée Djamila.
- Pierre, il n'y a plus rien à faire. Elle est morte.
Pierre est atterré. Il l'aimait bien sa petite Djamila. Elle était si gaie, si franche, si intelligente, si sensible et si douce.
Penauds, les deux gendarmes de Frenda se tiennent à distance. Ils passent sur cette route, trois fois par semaine, à tombeau ouvert. Ce n'est pas le leur de tombeau qu'ils ont ouvert
aujourd'hui, mais celui d'une toute petite fille qui n'aura connu de la vie que guerre et misère. Allez comprendre les desseins de Dieu... ou d'Allah.
Pendant que les parents, oncles, frères et soeurs enlèvent le corps, les gendarmes sont entrés dans le local administratif du camp.
- Bien, dit le plus âgé des deux, nous allons passer au PC de la compagnie pour la déposition. Puis, s'adressant à Pierre: Vous allez venir avec nous pour le témoignage.
- Mais je n'ai rien vu, rétorque Pierre.
- Quelle importance? De toutes façons, personne n'a rien vu. Cette petite a traversé la route sans regarder. Ah! Ces gens là! Je me demande si on parviendra un jour à leur inculquer un peu de civilisation!
- Allez-y... De toutes façons, votre vérité sera la vérité lâche Pierre d'une voix lasse.
Pierre s'est gardé d'intervenir dans le compte-rendu de l'accident.
Djamila a disparu, portée en terre par les siens. Les gendarmes ont fait leur déposition. Celle-ci a été transmise à Saïda, sans le témoignage de Pierre qui a refusé logiquement de participer à la rédaction et de signer le rapport d'accident dont il n'avait vu que les conséquences.
"L'incident" fut classé sans suite.
Que vaut la vie d'une enfant de nomade en temps de guerre? Rien, sans aucun doute et de cela, Pierre peut en témoigner.
Pierre est à présent en congé de ses fonctions d'enseignant. En fait, il s'agit d'une première sanction. Il retrouve donc pour un temps ses fonctions de militaire du contingent affecté au "maintien de l’ordre.
- Lolo90
- Messages : 18309
- Enregistré le : 17 juil. 2017, 08:39
- Localisation : Belfort (90)
- Contact :
Re: La chute (suite)
He ben que c'est triste cet épisode



- Denis
- Messages : 19667
- Enregistré le : 29 déc. 2008, 19:26
- Localisation : Digne les bains
- Contact :
Re: La chute (suite)
Ca raisonne terriblement avec l’info d’hier, ou ce petit de 10 ans a été tué à Nimes, victime collatérale de la guerre des trafiquants de drogue, au mauvais endroit au mauvais moment… Terrible…
- Robert
- Messages : 26758
- Enregistré le : 21 janv. 2009, 20:38
- Localisation : SARREBOURG
- Contact :
Re: La chute (suite)
Les consignes sont très claires. Il s'agit de patrouiller sur les hauts plateaux du secteur 5 afin de contrôler le respect de la "zone interdite", par un ratissage systématique.
En effet, en dehors du proche périmètre du regroupement, où les nomades sont autorisés à faire paître leurs troupeaux de vaches, de chèvres et de moutons, activité réduite qui assure, tant bien que mal leur survie, ont été instituées par l'armée française des zones affectées d'un numéro où il est interdit aux indigènes de se déplacer, de cultiver la terre, de ramasser du bois ou de faire paître leurs troupeaux...Le but de cette interdiction est clair : couper la rébellion de ses appuis possibles en rase campagne, simplifier le "nettoyage" d'un secteur donné, nettoyer signifiant ici chasser ou tuer les ennemis, un nettoyage par le vide. Dans ces secteurs, toutes les constructions (en dehors des marabouts, petits édifices religieux élevés en hommage à des sages musulmans), tous les douars, tous les abris avaient été démolis, les forêts et les bosquets souvent brûlés au napalm. Il n'était pourtant pas rare, lors de ces ratissages, de découvrir une "matmora", cache souterraine d'armes ou de nourriture approvisionnée sans doute par des hommes des regroupements acquis au Front de Libération National Algérien.
Le soleil émerge, embrase les collines. Le capitaine Ferrand définit leur mission aux hommes de trois unités alignés et attentifs. Six GMC, deux half-tracks et un command car sont rangés à l'entrée de la ferme. Il s'adresse à la première section dont Pierre assurera les fonctions d'adjoint au chef de section, l'adjudant Simon, vieux sous-officier de carrière rompu aux tâches guerrières, aux hommes du "commando "Maurice" et aux hommes de la "harka" d'Aïn-Balloul.
Une "harka" était souvent affectée aux détachements de militaires français éparpillés dans le bled. Ainsi existait, pour le secteur d'affectation de Pierre, deux "harkas", celle attachée au PC à Aïn Balloul et celle de la ferme de "Traverse" où Pierre n'allait pas tarder à être muté. Les harkis étaient des soldats musulmans, en principe acquis à l'idée de maintenir l'Algérie dans le giron français. Rétribués par la France, ces soldats étaient très précieux : Ils connaissaient le terrain et l'ennemi mieux que personne; par ailleurs, pour beaucoup, ils avaient combattu, soit en 39/45, soit en Indochine, et leurs qualités militaires étaient incontestables, résistants parfaitement à la chaleur et aux intempéries, endurants au mal, sobres comme des dromadaires, répondant aux ordres sans discuter...de vrais soldats.
Le commando "Georges" ainsi baptisé du prénom du lieutenant qui assurait son commandement, était habituellement attaché au PC du régiment, à Saïda. Ses hommes étaient des hommes du contingent, sélectionnés pour leur mental de "têtes brûlées", leurs qualités de combattants ou leur ambition déclarée d'entrer un jour dans la carrière. Ce commando n'était utilisé que pour les "opérations" sur le terrain lorsque la probabilité de l'usage de la force devenait plus grande. En tenues camouflées, avec leurs airs de baroudeurs sortis d'un film de guerre américain, ils suscitaient la jalousie des simples trouffions; pour se dédommager, leur section était traitée de "commando fillette"!
- Nos services de renseignement ont acquis la certitude qu'un groupe rebelle s'est établi sur le secteur 5 de la zone interdite. J'ai donné des consignes précises à vos chefs de section. Il s'agit pour nous de ratisser le secteur. Respectez scrupuleusement les ordres, les formations pour le ratissage. Ouvrez l'oeil... Embarquez dans les GMC!
Pierre n'a aucune vue d'ensemble de l'opération qui est menée. Il n'est qu'un pion, posé sur un échiquier géant. Sa volonté de survie va servir les desseins de la Patrie, c'est tout!
Après une demi-heure de route en direction de Frenda, les véhicules s'arrêtent, les chefs de section hurlent des ordres. Les soldats sont bientôt déployés en une ligne qui avance dans le maquis entre rocailles et buissons. La végétation est têtue; si les grands arbres ont disparu du paysage sous l'effet du napalm, les buissons ont reconquis le sol. Le maquis est partout par touffes de lentisques, d'arbousiers parsemées d'aloès; des chênes verts et des pins se dressent par-ci, par là, vestiges de la forêt brûlée. Paysages méditerranéens qui rappellent la garrigue nîmoise. Pierre avance péniblement, prenant garde de ne jamais perdre ses proches voisins de vue et de rester dans la ligne. Les hommes du commando Georges se chargent des secteurs à risque, ceux qui sont les plus escarpés; ils fouillent aussi les thalwegs touffus. Les harkis et la section de Pierre s'occupent du plateau, plus facile à investir.
Ils ont avancé ainsi pendant six heures, ont couvert une vingtaine de kilomètres, sans rien voir que rochers et buissons rabougris. Ils ont mangé debout, très vite, des rations infectes contenues dans des boîtes kaki, avec du pain dur et des biscuits de guerre.
Ils arrivent au bord d'une route que Pierre ne connaît pas et il monte avec les autres dans les GMC.
Il est harassé, couvert de la poussière ocre que le vent d'Est a soulevée. Il boîte bas car sa chaussure a entamé profondément son pied droit, là, sur le dessus, où se forme le pli qu'impose la marche. Il ne pense à rien et dans sa tête défilent des images de puzzle désordonné. Il ne lui viendrait pas à l'esprit de se plaindre. Se plaindre à qui, d'ailleurs? Il pense simplement qu'il a hâte d'enlever ses sales godasses, de plonger ses pieds dans de l'eau froide. Il pense que, la prochaine fois, il soignera ses pieds, organes plus importants que tous les autres pour le trouffion chargé de ratisser un secteur du djebel.
Les hommes du commando Maurice sont déjà arrivés. Le dernier soldat embarqué, le convoi reprend la route et se retrouve vite à Aïn-Balloul.
En effet, en dehors du proche périmètre du regroupement, où les nomades sont autorisés à faire paître leurs troupeaux de vaches, de chèvres et de moutons, activité réduite qui assure, tant bien que mal leur survie, ont été instituées par l'armée française des zones affectées d'un numéro où il est interdit aux indigènes de se déplacer, de cultiver la terre, de ramasser du bois ou de faire paître leurs troupeaux...Le but de cette interdiction est clair : couper la rébellion de ses appuis possibles en rase campagne, simplifier le "nettoyage" d'un secteur donné, nettoyer signifiant ici chasser ou tuer les ennemis, un nettoyage par le vide. Dans ces secteurs, toutes les constructions (en dehors des marabouts, petits édifices religieux élevés en hommage à des sages musulmans), tous les douars, tous les abris avaient été démolis, les forêts et les bosquets souvent brûlés au napalm. Il n'était pourtant pas rare, lors de ces ratissages, de découvrir une "matmora", cache souterraine d'armes ou de nourriture approvisionnée sans doute par des hommes des regroupements acquis au Front de Libération National Algérien.
Le soleil émerge, embrase les collines. Le capitaine Ferrand définit leur mission aux hommes de trois unités alignés et attentifs. Six GMC, deux half-tracks et un command car sont rangés à l'entrée de la ferme. Il s'adresse à la première section dont Pierre assurera les fonctions d'adjoint au chef de section, l'adjudant Simon, vieux sous-officier de carrière rompu aux tâches guerrières, aux hommes du "commando "Maurice" et aux hommes de la "harka" d'Aïn-Balloul.
Une "harka" était souvent affectée aux détachements de militaires français éparpillés dans le bled. Ainsi existait, pour le secteur d'affectation de Pierre, deux "harkas", celle attachée au PC à Aïn Balloul et celle de la ferme de "Traverse" où Pierre n'allait pas tarder à être muté. Les harkis étaient des soldats musulmans, en principe acquis à l'idée de maintenir l'Algérie dans le giron français. Rétribués par la France, ces soldats étaient très précieux : Ils connaissaient le terrain et l'ennemi mieux que personne; par ailleurs, pour beaucoup, ils avaient combattu, soit en 39/45, soit en Indochine, et leurs qualités militaires étaient incontestables, résistants parfaitement à la chaleur et aux intempéries, endurants au mal, sobres comme des dromadaires, répondant aux ordres sans discuter...de vrais soldats.
Le commando "Georges" ainsi baptisé du prénom du lieutenant qui assurait son commandement, était habituellement attaché au PC du régiment, à Saïda. Ses hommes étaient des hommes du contingent, sélectionnés pour leur mental de "têtes brûlées", leurs qualités de combattants ou leur ambition déclarée d'entrer un jour dans la carrière. Ce commando n'était utilisé que pour les "opérations" sur le terrain lorsque la probabilité de l'usage de la force devenait plus grande. En tenues camouflées, avec leurs airs de baroudeurs sortis d'un film de guerre américain, ils suscitaient la jalousie des simples trouffions; pour se dédommager, leur section était traitée de "commando fillette"!
- Nos services de renseignement ont acquis la certitude qu'un groupe rebelle s'est établi sur le secteur 5 de la zone interdite. J'ai donné des consignes précises à vos chefs de section. Il s'agit pour nous de ratisser le secteur. Respectez scrupuleusement les ordres, les formations pour le ratissage. Ouvrez l'oeil... Embarquez dans les GMC!
Pierre n'a aucune vue d'ensemble de l'opération qui est menée. Il n'est qu'un pion, posé sur un échiquier géant. Sa volonté de survie va servir les desseins de la Patrie, c'est tout!
Après une demi-heure de route en direction de Frenda, les véhicules s'arrêtent, les chefs de section hurlent des ordres. Les soldats sont bientôt déployés en une ligne qui avance dans le maquis entre rocailles et buissons. La végétation est têtue; si les grands arbres ont disparu du paysage sous l'effet du napalm, les buissons ont reconquis le sol. Le maquis est partout par touffes de lentisques, d'arbousiers parsemées d'aloès; des chênes verts et des pins se dressent par-ci, par là, vestiges de la forêt brûlée. Paysages méditerranéens qui rappellent la garrigue nîmoise. Pierre avance péniblement, prenant garde de ne jamais perdre ses proches voisins de vue et de rester dans la ligne. Les hommes du commando Georges se chargent des secteurs à risque, ceux qui sont les plus escarpés; ils fouillent aussi les thalwegs touffus. Les harkis et la section de Pierre s'occupent du plateau, plus facile à investir.
Ils ont avancé ainsi pendant six heures, ont couvert une vingtaine de kilomètres, sans rien voir que rochers et buissons rabougris. Ils ont mangé debout, très vite, des rations infectes contenues dans des boîtes kaki, avec du pain dur et des biscuits de guerre.
Ils arrivent au bord d'une route que Pierre ne connaît pas et il monte avec les autres dans les GMC.
Il est harassé, couvert de la poussière ocre que le vent d'Est a soulevée. Il boîte bas car sa chaussure a entamé profondément son pied droit, là, sur le dessus, où se forme le pli qu'impose la marche. Il ne pense à rien et dans sa tête défilent des images de puzzle désordonné. Il ne lui viendrait pas à l'esprit de se plaindre. Se plaindre à qui, d'ailleurs? Il pense simplement qu'il a hâte d'enlever ses sales godasses, de plonger ses pieds dans de l'eau froide. Il pense que, la prochaine fois, il soignera ses pieds, organes plus importants que tous les autres pour le trouffion chargé de ratisser un secteur du djebel.
Les hommes du commando Maurice sont déjà arrivés. Le dernier soldat embarqué, le convoi reprend la route et se retrouve vite à Aïn-Balloul.
- Lolo90
- Messages : 18309
- Enregistré le : 17 juil. 2017, 08:39
- Localisation : Belfort (90)
- Contact :
Re: La chute (suite)
Là, cela n'a plus rien à voir avec l'école 
